Interview / Pour l'avoir déjà vu, on peut vous assurer sans rougir que non seulement le “Hamlet” qui ouvrira glorieusement la saison de l'Hexagone est une véritable tuerie, mais qu'il nous permettra en plus de voir sur scène le meilleur rappeur français du monde, Arm de Psykick Lyrikah. En attendant, rencontre avec David Gauchard, metteur en scène. Propos recueillis par François Cau
Qu'est-ce qui a motivé la mise en place du projet, la rencontre avec le texte ou avec les musiciens ?
David Gauchard : Désolé, mais c'est une troisième réponse, la rencontre avec le traducteur. J'ai commencé par travailler sur Ekaterina Ivanovna de Leonid Andreïev, dans une traduction d'André Markowicz. À l'issue du projet, André m'a demandé si j'avais lu Hamlet, tel qu'il l'avait retraduit. Tout est parti de là : il a traduit tout Dostoïevski et d'autres ouvrages de langue russe. Dans cette littérature, il y a un grand emploi du vers décasyllabe, là où en France on privilégierait l'alexandrin. C'est une forme qu'on retrouve dans le théâtre Élisabéthain ; il a donc adapté Shakespeare en décasyllabe, c'est le seul à l'avoir fait pour l'instant.
Comment l'aspect abstract hip hop s'est-il greffé au projet ?
J'ai rencontré Robert le Magnifique (compositeur, DJ et interprète du rôle d'Horatio dans la pièce) sur Ekaterina Ivanovna. Je cherchais à bosser sur la Troisième Symphonie de Górecki, et je devais adapter ma mise en scène par rapport à la seule version CD que j'avais à disposition, ce qui était loin d'être satisfaisant. J'ai donc demandé à Robert le Magnifique de découper et de retravailler cette version pour qu'elle colle au mieux aux images que j'avais en tête. Et quand j'ai lu la nouvelle traduction d'Hamlet, les vers blancs, la rythmique propre au décasyllabe me faisait penser au hip hop ou à une forme de slam. Avec cette forme et la présence de Robert le Magnifique, l'association avec Abstrackt Keal Agram s'est faite naturellement, tout comme l'arrivée, par le même biais, d'Arm de Psykick Lyrikah. Il est pour beaucoup dans la réussite de la pièce... Il est, dans le rap français, ce qu'on pourrait appeler un véritable auteur. Il a une plume incroyable, on sent que c'est un rappeur qui a lu Dostoïevski. Quand on est passé sur une version plus courte de la création originale, je lui ai demandé d'écrire des textes qui seraient des synthèses des scènes coupées, des sortes de réécritures dans une langue contemporaine, mais qui respecteraient l'écriture shakespearienne.
Qu'est-ce qui a motivé cette deuxième version de la pièce ?
À l'heure d'aujourd'hui il n'existe plus qu'une seule version. On avait à la base 17 personnes sur le projet, beaucoup plus de comédiens ; le projet était partagé entre théâtre et musique une vraie interaction entre les deux, ce n'était pas vraiment satisfaisant, ça manquait de radicalité au sens où je l'entends, et pour revenir à des choses plus terre-à-terre, c'était extrêmement cher à tourner. En termes de production et de tournée, le spectacle allait mourir. Ce sont les salles de musiques actuelles qui m'ont dit de ne pas m'arrêter là, qu'elles étaient prêtes à accueillir le projet en leur sein à certaines conditions. Notamment qu'on soit capable de s'installer le matin pour jouer le soir, ce qui inclut des coûts financiers et des engagements techniques très différents de ceux qui étaient les nôtres. Il fallait entrer dans le canon d'un spectacle qui durerait moins de temps (la première version dépassait légèrement les 2h30) et avec moins de monde. Pour sauver ce qui était encore sauvable, j'ai choisi la solution d'être beaucoup plus radical, avec surtout une plus grande implication d'Arm, qui devenait du coup une sorte de coryphée qui viendrait rassembler les épisodes “coupés“ de la pièce, dans un esprit plus concert et plus hip hop. Là, on arrive à cette version intitulée Hamlet, Thème & Variations, qui n'est ni du théâtre ni de la musique mais quelque chose dans l'entre-deux.
Vous vous retrouvez à jouer autant dans des salles de théâtre que dans des salles de concert... Ce qui montre que notre pari est réussi : la première version a été jouée dix fois, et la deuxième en est déjà à vingt représentations avec une trentaine derrière, avec la possibilité de jouer aussi bien dans les deux types de salles.
Nous, on joue le même spectacle, mais le conditionnement du public est fatalement différent. Au théâtre, on est dans des fauteuils rouges, le public est à l'heure, la représentation débute à l'heure fixée ; dans les salles de musiques actuelles, les gens arrivent avec une bière, une clope, font des allers-retours... La perception change, mais c'est au final très excitant d'interroger cette forme-là, d'aller chercher les publics, de faire écouter du hip hop dans des scènes nationales ou de balancer du Shakespeare au public de concert. La tentation de conserver cette équipe créative pour les prochains spectacles de la compagnie L'Unijambiste doit être grande... La compagnie planche actuellement sur une pièce nommée Des couteaux dans des poules, où j'ai demandé à Robert le Magnifique de travailler avec le Quatuor Debussy... Mais on n'est pas une “recette“, ce n'est pas dans l'esprit des commandes qu'on a pu me proposer (comme un “Don Juan façon électro“). Évidemment, le désir de retravailler avec des gens comme Arm est présent, mais si le propos n'y est pas...
Hamlet, thème & variations du 10 au 13 octobre, à l'Hexagone