Pour terminer ses trois années de résidence à l'Hexagone de Meylan, le jongleur et informaticien Adrien Mondot propose une conférence-spectacle pour répondre aux nombreuses interrogations du public sur son travail. Et il en profite pour nous présenter Claire Bardainne, sa nouvelle associée dans ses pérégrinations numériques. Rencontre.
Un point c'est tout : une expression imagée qui marque le refus de continuer à parlementer. Ce sera comme ça, et pas autrement. Pourtant, au sens propre, la tournure revêt une autre signification : le point, c'est le départ de tout. La géométrie ne nous enseigne-t-elle pas par exemple qu'une droite est constituée d'une infinité de points ? – un point étant la plus petite portion d'étendue qu'il soit possible de concevoir.
Partant de ce constat euclidien, l'artiste pluridisciplinaire Adrien Mondot a souhaité achever sa résidence à l'Hexagone par un spectacle baptisé Un point c'est tout. Avec une idée très précise derrière la tête : « J'avais le désir d'expliquer, de montrer comment les choses marchent. Les spectacles qui ont été faits par la compagnie laissent interrogateurs beaucoup de gens sur leur fonctionnement. Chaque fois que je me suis lancé dans des petites conférences pour donner des clés, j'ai trouvé ça rigolo. C'était donc un peu le point de départ du projet il y a deux ans : se dire que l'explication en elle-même peut être spectaculaire. »
Un besoin de faire partager son monde numérique au plus grand nombre, en en dévoilant les bases et les soubassements, qu'il définit comme très simples malgré la complexité des procédés mis en place pour y arriver. « Avec trois fois rien, on peut fabriquer un monde entier. Là, je n'utilise quasiment que des points comme support de mouvement – ça s'appelle la physique du point. C'est fascinant comment le seul mouvement d'un point peut évoquer tout un tas de choses : on peut y voir la peur, l'angoisse, la joie... » En résulte un tableau, dans Un point c'est tout, où Adrien Mondot se fait littéralement attaquer par une armée de points qui le contraint à se recroqueviller au sol.
Main dans la main
Cette image, à la force poétique impressionnante, est une illustration parfaite de l'univers qu'Adrien Mondot a construit depuis le début de son odyssée artistique. Ainsi, cet ancien ingénieur informatique passionné de jonglage (par le passé, il a souvent arpenté les rues grenobloises avec ses balles), a fondé en 2005 sa compagnie Adrien M, qui mixe ses deux domaines de prédilection : le jonglage donc, et les arts numériques. Avec une recherche sur le mouvement : « Le jonglage, même s'il est numérique, est un point de départ important dans la construction de mouvements sensibles. »
Après un passage par le Manège de Reims, c'est l'Hexagone qui l'a accueilli en 2008, pour une résidence de trois ans. Une rencontre évidente, la scène nationale de Meylan étant en pointe sur les questions liées aux arts numériques, notamment grâce à sa biennale art-science les Rencontres-i. Pendant cette résidence naîtra notamment Cinématique, proposition forte créée en 2010, où Adrien Mondot, accompagné de la danseuse Satchie Noro, livre un moment intense de féerie visuelle (article sur notre site internet). « C'était un deuxième spectacle, une étape très délicate à aborder. Il a connu des débuts assez difficiles, il a été accouché dans la douleur... comme tout dans mon cas ! Il a ensuite suivi la même route que Convergence [sa première création – NdlR] : on a beaucoup tourné, en Asie par exemple. »
Deux en un
Cette réussite a mis en lumière eMotion, le logiciel qu'Adrien Mondot a élaboré lui-même et largement utilisé sur Cinématique : « un programme informatique d'animation en temps interactif [...], qui permet de composer des chorégraphies d'entités virtuelles telles que du texte, de l'image, des vidéos ». Dans Cinématique, Adrien fait ainsi danser des lettres projetées sur un écran en tulle.
Dans l'exposition XYZT, encore visible à la Casemate jusqu'à la fin décembre, l'expérience est encore plus forte, puisque le visiteur est le capteur, qui manipule lui-même le réel. On peut alors se promener dans un champ de vecteurs qui se meuvent sous nos pas, ou encore diriger un tourbillon de points en bougeant seulement notre main. Cette exposition grandiose, au minimalisme graphique revendiqué, a marqué un tournant pour la compagnie d'Adrien Mondot, qui a décidé de s'associer à la plasticienne Claire Bardainne.
« On s'est rencontrés lors d'un labo où j'avais invité Claire. C'était en 2010, juste après la création de Cinématique. Je lui ai tout de suite demandé de venir travailler sur l'exposition XYZT première mouture, et ensuite, on a fait plusieurs projets ensemble. Puis on a constaté que tout se passait bien, car on est véritablement dans l'échange d'idées, comme si je pouvais fabriquer à Claire les outils qui mettent en mouvements ses pensées. » La compagnie se nomme aujourd'hui Adrien M / Claire B. « On s'est pris la tête pour le nouveau nom, mais finalement, tout le monde nous a déconseillé de changer de nom ! »
Ensemble, c'est tout
Claire Bardainne, que l'on a rencontrée la semaine dernière en même temps qu'Adrien Mondot (lors d'un filage d'Un point c'est tout), a un parcours différent. « Je viens du monde des arts visuels, avec une formation de graphiste et de scénographe. J'ai toujours travaillé sur l'idée du signe dans l'espace, et comment ça se passe quand le signe se dégage de l'écriture et vient prendre la place d'un personnage. » Entre eux deux, la symbiose semble évidente, l'un finissant les phrases de l'autre, et inversement.
La possibilité qu'Un point c'est tout, lancé avant leur collaboration, se poursuive à deux, a tout de suite été une certitude. Adrien : « Avec Claire, on a beaucoup discuté sur le projet, que l'on signe maintenant à deux : il a donc beaucoup évolué. Qu'est-ce que l'on a vraiment envie de dire, là, aujourd'hui, maintenant ? Eh bien on a envie d'annoncer nos axes futurs de travaux, tout en évoquant le passé. »
De nous à vous
Un point c'est tout est présenté comme une conférence-spectacle. Claire : « Le spectacle met en lumière nos matières irréductibles. On ne peut pas aller en dessous ! On essaie alors de tracer des liens entre ce qui est de l'ordre du rationnel, et ce qui est de l'ordre du sensible. On fait comme ça des passerelles successives, en passant de petites scènes spectaculaires immersives à des moments où l'on revient sur ce que l'on a vu, où l'on explique comment ça marche ; à chaque fois en essayant de le connecter à nous, à nos obsessions, à nos envies. »
n « manifeste » où les artistes sont tous les deux sur scène : Adrien au jonglage et au mouvement, Claire à la manipulation d'eMotion, à vue. Un choix clairement assumé : contrairement à l'exposition, le capteur ici n'est pas l'être humain ; c'est Claire qui assure le suivi à la tablette graphique et à l'iPad, ce qui demande une coordination extrême entre son complice et elle. Adrien : « On préfère la sensibilité humaine, car lorsque l'on utilise un système de capteur, il n'y a pas beaucoup de liberté dans la relation entre l'interaction et la personne sur scène. » Claire : « C'est comme si l'on faisait lire une partition à une machine. » Adrien : « Alors qu'ici, c'est presque comme un système de marionnette virtuelle qui est en place. » Une façon de faire qui, pour Adrien, est une « véritable déclaration d'amour au spectacle vivant » : « Tout est fait en direct, on construit presque tout de A à Z avec, encore une fois, trois fois rien... »
Suivant cette logique, Adrien aurait aussi aimé avoir de la musique live avec eux, ce qui a été impossible, notamment niveau technique. Reste que la bande son a tout de même été composée par les Grenoblois de Rien, qu'Adrien affectionne tout particulièrement. « Ils ont une énergie incroyable. » Et qu'à sa demande, la dernière représentation d'Un point c'est tout sera suivie d'un concert du groupe, histoire de clore en beauté ces trois ans de résidence.
Désirs d'avenir
Bon, et après Meylan, quel est l'avenir du duo ? Une nouvelle résidence ailleurs en France ? Pas vraiment, même si Adrien et Claire s'associeront avec les Subsistances de Lyon. Plutôt une envie « de se poser pour mener des recherches au long cours » comme l'explique Claire. Adrien a acheté un lieu permanent à Lyon, où la compagnie s'installera donc. Claire : « Ça va être un changement de rythme et de façon d'aborder la construction des matières, des spectacles, des expos... On aura du temps pour développer le logiciel, pour consolider cet outil. »
On en déduit moins de tournée ? Claire : « On croule sous le travail, ça semble plus délicat de dégager autant de temps de tournée. » Adrien : « D'ailleurs, le prochain projet sera une petite forme – pour reprendre un peu des forces ! – qui sera créée en janvier 2013, au Lux à Valence. » Curieux que nous sommes, on suivra évidemment de près ces deux artistes atypiques, que l'on espère recroiser dans l'agglo d'ici peu.