Cinéaste, interprète, chanteuse, mais avant tout plume incandescente marquée au fer rouge par une enfance traumatisante et des excès assumés, Lydia Lunch passera en concert avec Big Sex Noise à l'Ampérage ce lundi. Splendide prétexte pour causer avec une authentique légende de l'underground. Propos recueillis par François Cau
Ce qui frappe dans vos livres Paradoxia et Will work for drugs, c'est la vivacité et l'efficacité de votre style. Comment vous est-il venu ?
Lydia Lunch : C'est juste ma façon de penser, c'est juste comme ça que j'écris. Ce que j'apprécie dans Will work for drugs, c'est qu'on entend plusieurs facettes de ma voix. La littérature est ce qui m'influence le plus, mais ce sont simplement des pensées exprimées sous la forme d'une longue conversation, il n'y a pas de fioritures, je dis la vérité de la façon la plus abrupte possible, avec un peu de poésie et de brutalité.
C'est cru, poétique, drôle, morbide...
Comme l'auteur !
Comment avez-vous travaillé avec Virginie Despentes sur la traduction française de Paradoxia ?
On a dû collaborer étroitement parce que je suis taquine avec l'anglais, je joue des tours sans m'en rendre compte, et à la traduction, ça peut se perdre. Je pense qu'elle était la personne parfaite pour me traduire : on est de très bonnes amies, elle me comprend bien. Si elle ne comprenait pas quelque chose, on pouvait s'en parler directement face à face.
Vous avez sorti un deuxième album avec Big Sexy Noise, vous vous sentez enfin à l'aise avec un groupe ?
Absolument. Mais en même temps, comme je suis contradictoire, les choses changent et maintenant, nous ne sommes plus que trois. C'est plus cru, c'est plus cul, on s'amuse beaucoup, et j'ai un album qui sort avec un autre projet.
Comment définiriez-vous votre relation avec la musique ?
J'ai commencé à faire de la musique simplement pour illustrer les mots. Avec Big Sexy Noise, les paroles sont très importantes, immensément importantes. La musique, particulièrement celle-là, est fondamentale. Surtout maintenant que la situation politique est astronomiquement niquée. Sachant que je parle de politique depuis 1982, que je continue à le faire, notamment dans des solos, je ressens tout de même le besoin d'avoir un groupe pour célébrer l'apocalypse, m'amener à un état de soulagement en cette période de désastres, de guerres, de conneries, de mensonges, d'hypocrisie. Pour moi, c'est nécessaire de faire de la musique, histoire d'entretenir ce qu'il me reste de santé mentale.
Puisque vous abordez le sujet de la politique, suivez-vous la primaire républicaine aux États-Unis ?
Oh mon Dieu... Justement, c'est ça le problème, DIEU. Je me suis exilée des États-Unis depuis la seconde élection de Bush. Et Barack Obama n'a été qu'un désastre complet. Là, ce qui nous est montré dévoile à quel point l'Amérique est tordue... Enfin, vous, les Français, j'ai pas besoin de vous parler de politique tordue ! L'arrogance, l'élitisme, la religiosité, le fanatisme sont juste révoltants. Je crie sur les mêmes gens et leurs souteneurs depuis tellement longtemps maintenant, mais je ne peux pas m'arrêter, ça m'obsède. Je suis anti-américaine dans le sens où j'essaie de dire ce que l'Amérique est réellement : le 1% qui se gave en observant les autres devenir de plus en plus pauvres. Les gens ne réalisent pas à quel point la pauvreté est astronomique aux Etats-Unis. Ça n'a jamais été à propos des gens, mais les corporations, qui nous plongent vers l'apocalypse permanente. Les protestations surgissent quotidiennement, partout, dans tous les pays, mais les politiciens n'écoutent pas le peuple. Je ne connais pas la solution.
Mais vous ressentez une responsabilité en tant qu'artiste de...
Je ne la fermerai jamais sur ces conneries, bien sûr, jusqu'à ce qu'ils me foutent en taule ou me flinguent. J'ai de la chance, je suis restée hors de portée du radar économique et je le resterai jusqu'à la fin de ma carrière, et donc je n'ai jamais subi de pressions ou de censure. On ne m'a jamais confronté, même pas le gouvernement américain, que je redoute au fur et à mesure qu'il se rapproche d'un régime fasciste de constante surveillance. Mais bon, je suis une petite fille avec une grande bouche, peut-être que si j'avais l'argent d'une pop star, je... je ne sais pas, je serais dangereuse, j'imagine.
Vous êtes sûrement l'une des dernières artistes indépendantes, dans le sens où votre œuvre ne peut pas être récupérée par les médias mainstream.
La vérité, c'est que je ne peux pas faire de populaire réconfortant, donc je me trouve bien dans le ghetto underground où je me suis installée. On ne peut pas s'accommoder avec la vérité, comme on ne peut pas rationaliser l'extrême des passions en la sur-intellectualisant pour les élites futiles. Je me sens bien là où je suis : A / ils ne veulent pas de moi, B / ils ne peuvent pas me vendre, ça n'aurait pas de sens. Ils ont déjà mis en scène la déchéance de Courtney Love, ils ont refait la même chose avec quatre autres rock stars, mais ils ne peuvent pas m'avoir, je les rebute.
Question piégée : qu'est-ce que ça vous fait quand Sonic Youth apparaît dans Gossip Girl ?
Ils ont toujours eu incroyablement mauvais goût donc ils sont bien capables d'aimer ce genre de merde. Je ne vois pas de problème pour Sonic Youth, ça fait 25 ans qu'ils sont dans le circuit, ils n'ont plus rien à prouver. Les connaissant, je trouve même ça mignon, ils ont sûrement fait ça pour leurs filles. Puis je suis toujours d'accord pour prendre du pognon à l'ennemi. C'est ce qui nous fait tourner, il n'y a pas d'argent propre. Je préfère prendre le plus d'argent possible à l'ennemi, comme ça je peux continuer ce que je fais. Apple et tous ces ennemis que nous aimons, je ne pense pas qu'ils veulent me sponsoriser...
Votre œuvre est entièrement conçue autour du principe qu'on peut traverser le pire dans une vie grâce aux processus de création et d'imagination.
J'ai choisi l'art plutôt que le crime, et c'est pourquoi nous sommes en train de parler. C'est un choix que j'ai fait il y a longtemps, même si on doit faire des choses insensées pour survivre.
Et vous appliquez ce principe dans votre vie de tous les jours, on vous a suspecté de vous réfugier derrière un personnage...
Ma vie est comme un roman ! Je n'invente rien, je n'écris pas de la fiction, à part quelques pages dans Will work for drugs. En fait, je ne comprends pas la fiction, j'essaie de composer avec la réalité, je suis une "non-fiction artist". Je suis d'une époque spécifique dans un pays spécifique. J'ai subi une enfance brisée dans une partie des États-Unis en pleine révolution, si je semble extrême, en fait, je ne suis que le reflet de toute cette époque. Le Vietnam, Charles Manson, Richard Nixon... Juste ces trois éléments, qui vous arrivent entre l'âge de huit et douze ans, ça fait beaucoup à avaler. J'ai été influencé par ce que j'ai vu, c'est pour ça que j'ai décidé d'en parler. On me trouve exagérée, mais ça n'est rien par rapport à la réalité. Alors asseyez-vous et profitez du spectacle, kids.