Danse / Quand un danseur se confronte à une marionnette en papier kraft, ça donne "Krafff", « avec trois F, comme le bruit du papier que l'on froisse ». Interview avec le chorégraphe et interprète Yan Raballand, l'un des deux concepteurs de ce spectacle coup de cœur.
Comment est né le spectacle Krafff ?
Yan Raballand : Tout est parti d'une rencontre. Le metteur en scène Johanny Bert avait envie de croiser forme marionnettique et danse. Il avait déjà fait une commande d'écriture à divers auteurs, pour les spectacles Histoires Post-it et Parle-moi d'amour, deux créations d'une demi-heure. Il voulait en faire une troisième, avec une nouvelle forme de collaboration.
On connaissait le travail de l'un et de l'autre, et du coup, il m'a proposé le projet. Avec comme point de départ un format court, et l'idée de mélanger danse et marionnette. Il avait d'abord pensé à une petite marionnette, puis il a décidé de prendre les deux comédiens d'Histoires Post-it et les deux comédiens de Parle-moi d'amour pour faire une manipulation à quatre. D'où cette grande marionnette...
Krafff devient alors la rencontre surprenante entre deux corps très différents...
Le spectacle joue sur la limite des deux corps. Après, je ne sais pas lequel a le plus de limites. La marionnette en papier peut ainsi faire des choses que je ne peux pas faire, et inversement...
Au départ, on a beaucoup travaillé dans un esprit de battle, du style "cap / pas cap". Puis assez vite, en voyant la marionnette, j'ai eu envie d'un rapport entre nous plus sensible, plus charnel qu'une simple battle. Du coup, on a imaginé d'autres approches, en partant sur des règles du jeu et des contraintes très simples : l'imitation, l'approche, le frôlement... Et ensuite sont nées des danses qui serpentent entre nous. On n'est donc pas du tout sur un schéma narratif, on est plutôt sur une chose abstraite. On a mis les bouts les uns après les autres, et ça nous a raconté quelque chose.
Pourquoi avoir choisi d'utiliser des manipulateurs, et de les rendre visibles au même titre que le danseur ; plutôt que de décider de manipuler vous-même cette marionnette ?
La manipulation d'une marionnette sur un corps, ça a déjà été fait, notamment par Philippe Genty. Johanny n'avait pas envie de ça, il voulait vraiment des manipulateurs à vue. Ce qui n'a pas été évident pour eux, qui sont de véritables comédiens : ils ont dû faire un travail hybride de comédien et de danseur.
Il y a d'ailleurs une forme d'humilité de leur part d'accepter de se tenir derrière et de mettre en avant une marionnette. Ils ont découvert de nouvelles sensations, mémorisé des choses... Ils ont travaillé sur la reproduction de mouvements, sur le poids du corps, sur l'axe, la coordination et la dissociation entre eux : des aspects fondamentaux de la danse contemporaine.
Krafff est une production du Théâtre de Romette, la compagnie de Johanny Bert. Mais vous avez aussi la vôtre – compagnie Contrepoint –, avec laquelle d'ailleurs vous avez gagné le prix du public lors de l'édition 2010 du concours [re]connaissance, créé par le Pacifique (Grenoble) et la Maison de la danse (Lyon). Qu'est-ce que cela vous a apporté ?
Viola, la création que je présentais, est une pièce que j'aime vraiment beaucoup, une sorte de tricot chorégraphique. Du coup, je suis heureux que cette forme puisse être reconnue par un public, qui n'est certes pas un public lambda – dans un concours de danse, c'est forcément des connaisseurs –, mais néanmoins un public plus large qu'un simple jury de spécialistes. Ce prix du public m'a donc réconforté.
Quand on fait des spectacles qui sont difficiles à monter, à produire, à organiser, il y a des moments où l'on doute beaucoup. Le fait d'avoir une forme de reconnaissance – justement ! –, ça encourage. Surtout que ce prix permet une tournée dans d'autres théâtres partenaires : ça ouvre de nouveaux réseaux, on rencontre d'autres gens, ça fait circuler le nom... C'est donc plus une espèce d'onde imperceptible que des contrats.
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Deux en un
Une soirée, deux spectacles. Car après Krafff, on découvrira Poisson d'avril, première création de la chorégraphe Aïda Boudrigua, interprète notamment chez Bouba Landrille Tchouda (retrouvez sur notre site l'interview qu'elle nous avait accordée en septembre dernier en guise de présentation – elle est la nouvelle artiste résidente associée à la salle la Rampe).
Son spectacle, qu'elle mûrit depuis longtemps, est parti du décès de son père, survenu un 1er avril. Elle le présente comme un arrêt sur ce qu'elle est aujourd'hui, exprimant cet état par la danse, à sa manière : sans schéma narratif mais en construisant différents tableaux, évocateurs. Comme l'extrait que l'on a pu découvrir la semaine dernière, où Aïda Boudrigua joue subtilement entre son calme apparent et son bouillonnement intérieur.