3 questions à... / "La Mécanique de l'ombre" est aussi l'occasion d'explorer celle du comédien en compagnie de François Cluzet. Cours magistral sur son métier qu'il résume ainsi : « Un acteur, c'est d'abord un corps dans une situation. »
Comment ressent-on la question de la surveillance d'une manière générale lorsqu'on exerce un métier où l'on est constamment scruté ?
François Cluzet : À dire vrai, je ne m'occupe pas trop d'être scruté ; c'est le problème des spectateurs. Nous, les acteurs, on est des exhibitionnistes ; il faut qu'on se se méfie du narcissisme, de l'ego hypertrophié. Le rôle de l'interprète, c'est uniquement d'être vivant — j'ai beaucoup réfléchi à cela parce que je suis passionné et que j'essaie de faire mon boulot le mieux possible. Alors, depuis très longtemps, je ne joue plus : j'essaie de vivre les situations sans ramener mon grain de sel.
Bien sûr, elles sont vécues sur commandes, car reliées au script, mais finalement j'aime bien cette idée. Longtemps ça m'a fait peur, je pensais qu'il ne se passerait rien. Je me suis rendu compte que c'était le contraire. Je me sens proche de cet acteur américain à qui un metteur en scène avait demandé s'il pouvait jouer plus expressif, et qui avait répondu : « — Non, mais toi tu peux rapprocher un peu plus ta caméra. » (rires)
Quelles sont les exigences d'un tel rôle ?
Du travail en amont, pour comprendre tous les méandres par lesquels ce type passe. On a essayé de tourner dans la chronologie, mais c'était très important d'avoir cette montée chromatique de son anxiété. Pareil pour les contraintes : c'est un taiseux. Les choses ne passent pas par le dialogue, mais dans sa tête, il faut les penser très fort pour qu'elles soient lisibles dans les yeux.
La peur, notamment, mais pas uniquement : tout son questionnement. Et puis il y avait les décors, lourds, qui me comprimaient — c'est une situation très désagréable de se sentir comprimé. Plus on avançait dans le film, plus ils étaient noirs ; plus les optiques choisies m'enfermaient et je sentais l'étau se resserrer. Qu'il soit en harmonie ou en désaccord avec la situation, le décor est notre partenaire principal.
Vous vous “abandonniez” ?
Au cinéma, on a tout intérêt à ramener le personnage à soi, pour arriver à une forme d'abandon : quand je tourne, je n'ai plus aucune volonté. Je l'ai eu pendant le travail en amont, mais quand on commence, la seule obsession, c'est de vivre la situation avec tout ce qui a été marqué dans mon mental et dont je ne me sers plus. Mon scénario de préparation est plein d'annotations pour me familiariser. Mais au tournage, je prends un scénario neuf et je ne m'occupe plus de mes notes.