Dans le texte / Figure de l'esprit rock stéphanois, ancien patron d'un célèbre club dédié au genre, Julien Haro nous fait désormais l'immense honneur d'une chronique mensuelle dédiée à ses coups de cœur musicaux. Branchez vos amplis, ce mois-ci, notre spécialiste semble avoir le mal des mots (et de l'époque?)
Si les dernières semaines nous ont encore une fois prouvé que la rue et les clameurs de la foule sont toujours promptes à porter haut et fort les revendications du peuple, les chansons ouvertement engagées semblent avoir quant à elles peu à peu disparu du paysage musical.
Intimement liée au contexte socio-politique de son époque, la musique a pourtant toujours su jouer un rôle prépondérant dans l'expression de l'indignation et de la colère sociale. Du folk américain pendant le mouvement des droits civiques à l'explosion du rap conscient de la fin du XXe siècle, en passant par la contre-culture rock, la chanson française ou le mouvement punk, des artistes de tous bords ont choisi de profiter de la tribune qui leur était offerte pour transmettre un message et exprimer ouvertement, par le biais des rimes et des mots, leur révolte contre l'ordre établi.
Les thématiques furent nombreuses et, en fonction des décennies et des courants musicaux qui les accompagnent, les œuvres contestataires furent le miroir des combats menés pour le droit à la liberté d'expression, la lutte contre le racisme, les droits des femmes, l'égalité, l'antimilitarisme ou encore la cause environnementale.
Véritables reflets artistiques de la culture et de l'histoire de leur pays respectif, ces « protests songs » symbolisaient alors la défiance d'une génération envers les institutions tout en cristallisant le point de vue de leurs auteurs sur le monde qui les entourait au travers de textes pour beaucoup devenus mythiques.
Le Déserteur de Boris Vian, Blowin' In The Wind de Bob Dylan, Mississipi Goddam de Nina Simone, Working Class Hero de John Lennon, White Riot de The Clash, La Mort Des Loups de Léo Ferré, Street Fighting Man des Rolling Stones, Porcherie des Bérurier Noir, Paris Sous les Bombes de NTM, Lettre A La République de Kery James, ... Autant de morceaux légendaires qui à la lumière de leurs mots éclairèrent les problèmes de leur temps.
Discrétion du texte
De nos jours, force est d'admettre que la primauté du texte semble se faire plus discrète. L'industrie privilégie le rythme et la musicalité, parfois au dépend du message exprimé, et le capitalisme culturel ne semble pas très enclin à favoriser la diffusion d'oeuvres n'allant pas dans son sens. Les chansons engagées ne sont pas légion à bénéficier d'une couverture médiatique décente et le public n'a que finalement peu d'occasions de rencontrer ce genre de textes. D'année en année, l'intérêt décroissant pour le propos et le sens des mots, savamment entretenu par les majors, ne permet finalement plus à la musique d'assumer pleinement son rôle de tribune revendicative même si, comme le disait Nina Simone, s'engager relève de la responsabilité de l'artiste.
En des temps où l'injustice semble croitre chaque jour un peu plus, à une époque où les inégalités ne cessent de se creuser, au moment crucial où l'urgence climatique pousse désormais l'humanité dans ses derniers retranchements, peut-être devrions-nous accorder un peu plus d'intérêt à ces revendications musicales qui, hier, furent de réels vecteurs d'indignation, des outils nécessaires de révolte et une forte et inéluctable arme de pression populaire.