Jazz à Vienne : où sont les femmes

Jazz à Vienne : où sont les femmes

Festival / Fort, mais pas satisfait du constat chiffré selon lequel, le jazz serait une affaire d'hommes, Jazz à Vienne propose avec un certain talent, une édition fortement rééquilibrée en présence féminine dans les moindres recoins de sa programmation. Mais avec quand même la présence de Marcus Miller, sans qui Jazz à Vienne ne serait ni Jazz, ni à Vienne. Programmation détaillée de cette enthousiasmante édition 2023.

La programmation de l'édition 2023 de Jazz à Vienne part d'un constat sec et chiffré. En France, seulement 15% des musiciens sont des musiciennes. Et la plupart sont des chanteuses. Dans le jazz, seulement 4% des instrumentistes sont des femmes. Ainsi le festival qui a confié, rappelons-le, son identité visuelle à Pénélope Bagieu (le symbole est fort quand on connaît le travail de la dessinatrice dans un secteur pas mieux loti sur le plan de la parité), le festival a ainsi pris le parti de proposer une programmation beaucoup plus féminine qu'à l'accoutumée, considérant que ce n'est pas en ne faisant rien que les choses changeront. Alors voilà.

En plus, Jazz à Vienne proposera une création artistique 100% féminine, établie sur une connexion France-Brésil avec les jeunes talents Clélya Abraham (piano-chant, France) et Ananda Brandao (batterie, France) et Sintia Piccin (saxophone, Brésil) et Ana Karina Sebastiao (chant-basse, Brésil) pour un spectacle à quatre têtes et huit mains (et huit jambes puisque ça risque de bouger un peu) dont le travail a commencé fin février et qui s'achèvera à l'automne prochain par une tournée brésilienne, après le passage viennois, bien sûr. Enfin, deux artistes féminines seront accueillies en résidence : Chloé Cailleton et Cynthia Abraham qui multiplieront les concerts en juillet. Autant d'initiatives qui permettront également de mettre un focus sur la jeune génération.

Pour ce qui est du déroulement de la programmation, les hostilités (amicales et musicales) commenceront les 26 et 27 juin avec une création de Marion Rampal destinée à l'invasion annuelle des gradins du Théâtre Antique par une armée de scolaires (8000 quand même, prévoir des boules quiès) dont quelques-uns seront même sur scène aux côtés de la femme caméléon que traversent les théories d'Édouard Glissant.

Inévitable Marcus Miller

Mais ce n'est là qu'un préambule, la soirée d'ouverture est pour le lendemain (le 28 juin, donc) avec un plateau à large bords conviant Dee Dee Bridgewater (voilà une femme qui fait grimper les pourcentages dans le jazz depuis quelques belles lurettes) accompagnée du Amazing Keystone Band ainsi que le sémillant André Manoukian qui présentera un projet très personnel explorant les origines de sa famille (comme chacun sait, Dédé le Lyonnais est d'origine arménienne). À ceux-ci s'ajoutent le Big Band Brass de Dominique Rieux et un duo Sarah Lenka/Macha Garibian.

À peine le temps de souffler (mais n'est-ce pas un peu tôt pour déjà souffler ?) que nous voilà le 29 juin avec un concert Nouvelle Génération. Et notamment le prodige de YouTube (sorti depuis de ce strict cadre), Jacob Collier,  et deux autres, prodiges donc, dans une relecture du fameux mariage de la carpe et du lapin (lui aussi célébré sur YouTube) : la Française Domi et le prodige texan JD Beck (fameux batteur qu'on s'arrache).

Hip-Hop le lendemain, 30 juin, avec l'australo-zambienne et bien nommée Sampa The Great, le rappeur briton Loyle Carner et le duo formé une nouvelle fois par Oxmo Puccino et le pianiste Yaron Herman, qui après avoir exploré Shakespeare s'attaque aux textes d'Oxmo. Puis soirée 100% soul, le 1er juillet avec deux grandes voix : le baryton britannique Jacob Banks et l'inévitable et vénérable Lee Fields. Tout aussi inévitable le 3 juillet, sera la venue d'un des piliers du festival, Marcus Miller (et bizarrement, cela fait quelques éditions qu'il n'est pas venu alors qu'on était certain qu'il était là – c'est ce qu'on appelle le charisme), précédé sur scène par le collectif britannique Ezra Collective. Soul toujours, le 4 juillet, mais dans des styles différents du 1er juillet avec la Belge Selah Sue et le Sénégalais Faada Freddy.

Le 5 juillet, c'est fusion avec les texans-brooklynites de Snarky Puppy et la Brésilienne Liniker (à ne pas confondre avec un certain Lineker, légende footeuse, qui a fait la Une des journaux anglais ces derniers temps après sa suspension de Match Of The Day sur la BBC pour avoir pourfendu la politique migratoire d'un autre âge du gouvernement britannique).

Inévitable Norah Jones

Et, tiens, le lendemain, 6 juillet c'est encore "soul" qu'il faudra aborder le Théâtre mais en mode gospel avec le Gospel Philharmonic Experience. Là, avec la diva Kim Burrell, un chœur de douze professionnels de la discipline, un autre amateur d'une centaine d'âme et rien moins que l'ONL, si Dieu ne répond pas c'est qu'il est bel et bien mort et qu'il est temps de relire Nietzsche. Surtout que c'est la spectaculaire chanteuse-bassiste franco-caribéenne Adi Oasis (aucun lien avec deux frères mancuniens à franges courtes) qui ouvre la soirée.

Histoire de prendre un peu la tangente, il sera temps le 7 juillet de prendre la direction de Cuba. Avec l'inévitable toujours — Vienne est aussi le lieu de l'inévitable — Group Compay Segundo qui vingt ans après la mort du maître continue de perpétuer son héritage. Mais aussi Cimafunk, véhicule enthousiasmant de l'esthétique afro-caribéenne, et le pianiste Harold Lopez-Nussa (et son orchestre). Cette édition manque un peu d'Allemands, trouvez-vous ? Comme vous avez raison. C'est sans doute pour pallier à cette injustice le 8 juillet (mieux vaut tard que jamais) que Jazz à Vienne convie Meute, collectif teuton qui a eu la drôle d'idée de marier l'univers de la fanfare et celui de l'électro (le vrai multivers, c'est eux, tremble Mark Zuckerberg !). Dans le même esprit, Electro Deluxe sera aussi de la fête.

Et puisqu'il est question de dames, pour cette édition, autant en convier une grande en la personne de Melody Gardot. La chanteuse de la ville de l'amour fraternel (Philadelphie) y célébrera notamment son album Philippe Powell (fils de Baden) aux accents volontiers français. Également de la partie, une pluie de jeunes Talents Adami Jazz (Yessaï & Marc Karapetian, Terry Lyne Carrington) et Génération Spedidam (Célia Kameni).

La fin du festival arrivant à grands pas, le blues guettera le spectateur et pas qu'au sens figuré : le 10 juillet : les deux Joe (Bonnamassa et Louis Walker) rivaliseront de cavalcades digitales sur leur manches de guitare. Avant que le 11 juillet, l'inévitable (eh oui) Norah Jones ne vienne adoucir les mœurs de cette édition. Avec une autre grande dame puisque le festival convie aussi la grande, l'immense, Mavis Staples, pan de l'histoire musicale et politique des États-Unis à elle toute seule. Légende encore, le 12 juillet avec Pat Metheny que précédera sur scène par la reformation du groupe Sixun.

Inévitable Goran Bregović

Et puis voilà, la veille de la Fête Nationale, le 13 juillet on plie les gaules avec le traditionnel All night en compagnie de la prometteuse Lou Rivaille et de son quartet ElliAVIR (la crème des quartets) et l'une des grandes révélations du jazz vocal de ces dernières années, philadelphienne elle-aussi, Samara Joy. Qui de mieux pour finir (ou continuer sans fin) une nuit que le volcanique balkanique (et inévitable) Goran Bregović. Forcément inévitable. À ce casting de fin sans fin, s'ajoutent le collectif bouillonnant Incognito, cette drôle de créature hybride africano-nippone qu'est Ajate et le Voilaaa Sound System

Voilaaa c'est fini, encore que non, pas tout à fait, car Jazz à Vienne c'est aussi, dans le même temps Le Club (où l'on pourra applaudir entre autres Sarah Lenka, Thomas Kahn, Camilla George, Bigre !, Big Freedia, The Staples Jr. Singers et la création évoquée plus haut...) ; le fourre-tout inégalable du Jardin de Cybèle pour ceux qui n'ont pas d'horaires et beaucoup d'envies (de jazz, surtout) ; Jazz Ô Musée, 4 jours de jazz au Musée gallo-romain de Saint-Romain-en-Gal (les Romains étaient férus de jazz, askip) et Jazz for kids, savant mix d'ateliers pratiques et de spectacles pour fans de musiques improvisées en culottes courtes (mais idées longues). Sans oublier la Caravan'Jazz qui arpentera la pampa allobroge et six communes de Vienne Condrieu Agglomération (on l'avoue, ça devient pointu). That's all folks, enfin, jazz !

Jazz à Vienne
Au Théâtre antique de Vienne du 28 juin au 13 juillet

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