Sauvagement bousculée par l'actualité, la première édition des Détours de Babel s'offre néanmoins à nous avec son lot de promesses artistiques mirobolantes. François Cau
Festivals clés de l'agglomération grenobloise, les 38e Rugissants et le Grenoble Jazz Festival ont célébré pendant de nombreuses années de bons et loyaux services la création musicale contemporaine, les émulations entre différentes cultures, les passerelles temporelles et autres échos sonores. Forcément, dans leurs recherches respectives, leurs routes se sont croisées plus d'une fois, jusqu'au point où les responsables de chaque structure, liés de plus par une complicité ne datant pas d'hier, se sont demandés si une mutualisation de leurs forces ne pouvait pas donner naissance à une nouvelle entité événementielle, un festival qui conserverait les spécificités de chacun mais qui tendrait vers l'expérimentation libre de nouvelles formes. Bref, l'application de la formule mathématique popularisée par Jean-Claude Van Damme, 1 + 1 = 1, mais dans le domaine de la musique et de la création contemporaines. Les deux structures se fédèrent donc, investissent leur Centre International des Musiques Nomades créé pour l'occasion, et planchent de concert sur la ligne éditoriale de leur projet commun.
Village global
Comme son nom le laisse délicatement supposer, le festival Les Détours de Babel fera la part belle aux projets transculturels, aux artistes venus des quatre coins du monde pour se rejoindre dans un cadre propice aux échanges musicaux. Les thématiques, voulues à la fois larges et porteuses de sens, sont choisies pour les trois années à venir : ce sera tout d'abord musique et identité(s), puis musique et politique, et musique et religion. Le tout étant de rester à la fois alerte aux bruits du monde, de ne pas se replier sur des particularismes pour mieux embrasser un dessein musical global, et aussi, last but not least, de prendre un bon vieux panard artistique à la grâce de zicos plus que chevronnés, de jeunes pousses au talent insolent, de splendides barjos et de taciturnes génies, bref, tout ce que le répertoire mondial contemporain d'aujourd'hui recèle de plus enthousiasmant. Sur la somme conséquente de rendez-vous prévue, il faudra compter sur une quinzaine de créations, dont la moitié est directement à l'initiative du festival ; autant de premières françaises ou européennes ; et enfin, pour ancrer durablement la manifestation dans les esprits et la rendre de fait plus abordable, le parti est pris d'en situer quelques temps forts dans des lieux atypiques, patrimoniaux ou juste insolites.
Mexican standoff
La programmation, gentiment imposante, se boucle presque sans heurts. Presque, car à quelques semaines du coup d'envoi, quand le retour en arrière n'est plus seulement inenvisageable mais tout simplement suicidaire, une brouille diplomatique éclate entre la France et le Mexique, et emporte avec elle la quasi-totalité des événements artistiques programmés dans le cadre de l'Année du Mexique en France. Pour les Détours de Babel, ça signifie très rapidement, faute de fonds suffisants, l'annulation de toute la journée du 23 avril, dont la création Wixarika Project imaginée par le musicien électro Murcof. Dommage, car ce projet, la présence du Nortec Collective et d'une impressionnante banda aurait eu son petit effet sur les festivaliers en bout de course. Même sans le volet mexicain de sa programmation, qui était heureusement concentré sur une seule journée, Les Détours de Babel se dote d'une affiche à la hauteur de son ambition, qui se conclura peut-être d'une façon un peu plus austère que prévue avec la création Sonic Mantras (rencontre entre le collectif jazz Octurn et les moines chanteurs tibétains du monastère de Gyuto). Il ne faudra pas pour autant que ce coup du sort identifie la manifestation sous le seul axe de la recherche, toute noble soit-elle. A travers des événements comme les bals, les brunchs, les performances d'artistes emblématiques comme Archie Shepp ou Jon Hassell, avec l'énergie contagieuse d'une compagnie comme Via Katlehong, ou encore avec ses installations hallucinées, il est à parier que ces Détours marquent le public et qu'ils aient de beaux jours devant eux.
Les Détours de Babel, du 8 au 23 avril, lieux divers