Expo / Née aux Etats-Unis en 1944, installée depuis au Canada, Lynne Cohen photographie des lieux ambigus, vides de toute présence humaine et temporairement détachés de leur fonctionnalité : des laboratoires scientifiques, des bases militaires, des salles de classe, des établissements thermaux, etc. Il s’agit à chaque fois d’intérieurs peu ou pas du tout accessibles au public. Dans ses images, l’artiste a conservé de sa formation de sculptrice un grand sens plastique des lignes, des volumes et des perspectives. Elle arrête notre regard devant des espaces à la fois plastiquement attrayants et humainement repoussants : ils sont pour le moins froids et aseptisés, voire carrément angoissants, morbides… La précision géométrique et frontale des images relève presque des «idées claires et distinctes» chères à Descartes. Mais aussi de l’idée cartésienne de «maîtrise» de la nature et du corps humain, suggérant en sourdine ses possibles glissements, perversions, délires… Car si hommes et chairs en sont absents, les lieux représentés relèvent cependant de leur expérimentation scientifique (laboratoires), de leur mise en danger (base navale nucléaire, stands de tirs d’écoles de police), de leur surveillance (les caméras de surveillance sont nombreuses), de leur soumission disciplinaire (écoles)… En noir et blanc ou, depuis peu, en couleurs, Lynne Cohen dresse une sorte d’étrange état des lieux de ces espaces intérieurs «ultra-contemporains» où l’idée même d’humanité est devenue menacée, fragile, incertaine. Jean-Emmanuel Denave
Lynne Cohen, « Faites attention »Au Bleu du Ciel – Burdeau, jusqu’au 11 avril.
