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T'as voulu voir Dutronc…
Par Christophe Chabert
Publié Jeudi 28 janvier 2010
Musique / Après 25 ans d’absence sur scène, Jacques Dutronc enfile à nouveau son costume de chanteur pour interpréter un répertoire génial, qui résiste à l’épreuve du temps et s’impose comme la pierre angulaire de la variété française. Christophe Chabert
Dès ses premières apparitions à la télévision, Dutronc tranche avec l’ordinaire des chanteurs à la mode. Propre sur lui, bien habillé, avec une mèche tout sauf rebelle. Trompe-l’œil ! En fait, Dutronc est déjà en train de se moquer de ces minets trop bien mis. «Et moi, et moi, et moi», premier tube, fonctionne sur ce double tranchant : derrière la bonne conscience, il y a l’individualisme-roi qui sert autant les révolutions que leur échec ; le monde souffre, c’est moche, et je suis déjà passé à autre chose… La décontraction du personnage Dutronc est le reflet de ces dandys superficiels qui se cherchent des idoles pour masquer leur vacuité. Retournant, non pas sa veste, mais son point de vue, il se livre à un examen ironique de ce statut dans «L’Idole», portrait d’un chanteur lessivé à force d’être exploité commercialement par son entourage et adulé aveuglément par son public («À tous ces gogos, je souhaite le supplice du pal»). Une fois de plus, le morceau est génial, les couplets sont parlés sur un simple clavier, les refrains chantés avec les tripes sur des éruptions de guitare psyché. Ce Dutronc politique en dit déjà beaucoup sur son temps ; mais le portrait de l’époque ne serait pas complet s’il n’y ajoutait aussi une chronique de mœurs — et de leur libération. «Les Playboys» porte un regard caustique sur les dragueurs stéréotypés qui traînent dans les rues de Paris ; Dutronc et son «piège à filles» se place au-dessus de ces clichés ambulants. Ce manifeste, il ne fera pourtant que le raturer par la suite : tribulations affectives versatiles («L’Espace d’une fille»), indécision sentimentale paralysante («J’aime les filles»), vantardise patentée («Le Mythofemme»), examen détaché de ses propres élans («Ça prend, ça n’prend pas»)… Le mythe du tombeur Dutronc en prend à chaque fois un sacré coup dans les rotules.Il chante, ils déchantent…
Cette dialectique est typique du répertoire Dutronc : aux certitudes insouciantes des années 60, il appose déjà les doutes de la décennie suivante. Une de ses plus belles chansons s’intitule «Il suffit de leur demander». Il n’y parle plus de «filles», mais de «femmes». Elles sont libres, elles couchent avec vous si vous leur posez la question, et «bonjour, bonsoir / Une fois c’est tout, merci beaucoup». Mais Dutronc dit tout cela avec une éloquente mélancolie : pas de la nostalgie rance, juste l’impression que cette liberté-là ne règle pas les tourments sentimentaux. S’il a chanté 68 avant tout le monde, Dutronc a aussi mis en musique ses lendemains qui déchantent. Au point de n’avoir lui-même plus grand-chose à chanter par la suite… Dans les années 70, cessant sa boulimie créative, il se fait doux-amer pour parler des transformations de la France («Le Petit Jardin», «La France défigurée»). Dans les années 80, avant son triomphal tombé de rideau au Casino de Paris pour un tour de chant d’anthologie, il s’ébroue dans quelques calembours musicaux d’un goût pas toujours sûr («CQFD», dernier album studio, et son «Merde in France» à prendre au pied de la lettre). Mais rien n’a jamais fait oublier la force du Dutronc 60’s, et c’est celui-ci qui renaît, tel le phœnix, sur les scènes françaises en 2010.Jacques Dutronc
À la Halle Tony Garnier, jeudi 11 février.
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