article publi-rédactionnels
Une formidable Biennale est née
Par Jean-Emmanuel Denave
Publié Vendredi 23 septembre 2011
Photo : Christian Lhopital, Strange Wedding, (c)Blaise Adilon
Expo / Originalité des œuvres et des artistes présentés, sensibilité et intelligence des thématiques déclinées, précision de la scénographie, indifférence libre aux sirènes de la mode : la 11e Biennale d’art contemporain est une édition quasi parfaite. Jean-Emmanuel Denave
Un performeur nu et sanglé tente avec énergie de tirer deux des piliers de la Sucrière, d’entraîner le bâtiment avec lui… La commissaire invitée de la Biennale, Victoria Noorthoorn, déclarait vouloir « faire bouger la bête et le système » et d’emblée, avec l’artiste Laura Lima, elle réalise son propos de manière littérale !
À la Sucrière, le théâtre, les puissances de l’imagination et les utopies rythment une exposition aérée, agréable à parcourir, finement mise en scène et regorgeant d’œuvres touchantes ou étonnantes. Comme cette impressionnante bibliothèque à la Borges réalisée par le Polonais Robert Kusmirowski dans un immense cylindre. Un lieu à l’abandon, traversé de fumée, jonché de pages de livres et abritant aussi de curieuses machines désuètes à moitié rouillées. Ou comme cette série de peintures de la Britannique Lynette Yiadom-Boakye représentant avec une grande force plastique des personnages, isolés ou en groupes, hors de tout contexte spatio-temporel. Peintures et installations, sculptures et dessins, œuvres intimistes et œuvres monumentales alternent sans heurt : du drôle de petit animal encagé de Michel Huisman à la Recherche sur l’origine de Robert Filliou, de la présence énigmatique et un brin mortifère de la nonne à l’échelle 1 de Guillaume Bijl aux petits planeurs poétiques d’Ernesto Ballesteros…
Maestria
Cette première étape à la Sucrière aurait pu déjà constituer à elle seule une Biennale de qualité. Mais, au Musée d’Art Contemporain, Victoria Noorthoorn réussit mieux encore : une exposition à couper le souffle ! Elle laisse éclater sa passion pour le dessin, sa volonté de montrer les choses dans toutes leurs ambiguïtés (beauté et terreur mêlées), son sens aigu et ultra sensible de la scénographie laissant en même temps toute sa place aux œuvres et à leurs connexions possibles, son sens des enjeux formels, existentiels et politiques contemporains…
Tout commence ou presque avec une grande salle consacrée à la Machine de rééducation de la Tchèque Eva Kotatkova, accumulation très foucaldienne (le Foucault de Surveiller et punir) de dessins et collages où des enfants sont enfermés derrière des lignes géométriques ou soumis à des mécaniques aussi grotesques que sadiques, avec ici et là d’étranges objets peu engageants… L’enfance (celle de l’art, la nôtre, celle du XXIe siècle) est prise dans un réseau de surveillance et de contrôle contre lequel il faudra résister en inventant des lignes de fuite. Plus loin, ce sont les poignantes poupées dessinées de Virginia Chihota qui sont soumises à rude épreuve face aux petits oiseaux mécaniques déglingués et emprisonnés de Michel Huisman.
Des cages à Cage
Après l’enfermement, l’explosion. L’Argentin Diego Bianchi crève les cimaises, coule du béton, disloque des mannequins, carbonise des objets, perce, troue, écrase. Un chaos comme on en avait rarement vu dans un musée.
Le monde contemporain, comme le temps chez Hamlet, sort de ses gonds, et son «ultime réalité» relève du déchet, de l’'informe à la Bataille, des poupées ambivalentes de Bellmer. L’informe, l’entre-deux (entre normalité et monstrueux, sujet et objet, présence et représentation), le devenir sont des thèmes importants de l’exposition. Avec la Chose de Judi Werthein qui apparaît ici et là dans quelques recoins du musée, les dessins hybrides et saisissants de Elly Strik, les peintures d’hommes-objets de Neal Tait…
Autre sommet de l’exposition, la grande salle du troisième étage du musée tapissée des 2500 km de fils noirs de Cildo Meireles, où l’on découvre les grands dessins à la Bram van Velde de Marina De Caro, les ectoplasmes mi-grotesques mi-inquiétants de Christian Lhopital, la grande Ophélie d’Elly Strik dont les traits sont effacés par la peinture rose. Après un ensemble à dominante noire, la couleur apparaît enfin mais sans donner de gages d’optimisme ni d’apaisement des formes. Le fin de l’exposition ira peu à peu vers le blanc avec des artistes tentant de se réapproprier le hasard (un film de John Cage auquel répondent de superbes dessins minimalistes de Linda Matalon), le temps et la mémoire (vidéo et dessins d’Alexander Schellow), le rapport philosophique au monde (superbe film de Laurent Montaron inspiré de Lucrèce)…
À la fin du parcours, nous avons l’impression d’avoir effectué une ou plusieurs traversées sensibles et intelligibles, du noir au blanc, du chaos à l’invention de nouvelles pratiques, de l’enfermement à la ligne de fuite artistique et politique. Une expérience exceptionnelle.
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