Le très charismatique directeur musical de l'Ensemble Orchestral Contemporain publie en ce début d'année son nouvel opus discographique : Dérive 1 et Dérive 2 de Pierre Boulez sous le label Naïve. Principal chef invité de l'Orchestra della Toscana et tout récemment de l'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg, Daniel Kawka parcourt le monde, dirigeant, en tant que chef invité, les plus grands orchestres internationaux. Tout vient à point à cet enfant du pays, qui a su porter à maturation ses projets musicaux. Avec la sagesse du bon jardinier, il laisse aujourd'hui les fruits de son labeur venir à lui, sans vraiment s'en étonner, et accueille de diriger Brahms, Strauss et Wagner comme une évidence, celle de tout un parcours...
Daniel Kawka, comment définiriez-vous votre relation avec Pierre Boulez, avec sa musique et son influence ?
Elle débute comme la relation studieuse d'un jeune étudiant avec ses écrits, sa direction musicale, et enfin, avec son œuvre. Son exemple a été un véritable fil conducteur dans mon propre chemin artistique. En dix ans, j'ai pratiquement dirigé toute sa musique, pas nécessairement avec l'E.O.C., mais avec la plupart des orchestres européens. Nos contacts professionnels sont devenus des liens amicaux. Il est symbolique, qu'aujourd'hui, il accepte que ce soit moi qui propose la matrice d'une œuvre qu'il ne dirige pas, ce qui est le cas avec Dérive 2. En ce qui concerne son héritage, j'ai le sentiment que la postérité retiendra, comme pour la plupart des compositeurs, les œuvres marquantes et belles. Des œuvres-clefs comme le Marteau sans Maître ou Dérive 2 seront pérennes. Dérive 2 est une œuvre de synthèse, dont l'écriture s'est étalée sur vingt ans. Quand je joue cette œuvre, je « vois » le cubisme, je « vois » l'abstraction de Kandinsky, qui passe par des étagements de quelque chose de très plastique...
Vous êtes Premier Chef Invité de deux grandes formations orchestrales. Comment qualifieriez-vous la relation avec ces orchestres et leur répertoire ?
L'Orchestra della Toscana est un très bel orchestre symphonique d'environ soixante musiciens qui permet d'aborder des répertoires que je pratique peu ou pas en France : Schumann, Brahms, Beethoven, Mendelssohn ou Sibelius par exemple. En parallèle, j'ai une très forte activité en tant que chef invité : j'ai dirigé cinq opéras l'an dernier : les Dialogues des Carmélites, Cosi fan Tutte entre autres...L'Orchestre Philharmonique de Saint-Pétersbourg est une formation d'une centaine de musiciens avec lequel je vais pouvoir parcourir les musiques que j'ai à cœur : Strauss, Mahler, le grand répertoire symphonique germanique, ainsi que celui du XXème siècle. Je suis convaincu que lorsqu'on est mûr, le monde musical fait en sorte que les rencontres se fassent, sinon elles ne se font pas. C'est exactement ce qui s'est passé en 2009 quand j'ai dirigé Tristan et Isolde à l'Opéra de Nantes et de Dijon, dans la mise en scène d'Olivier Py. Aujourd'hui, je suis ravi car j'avais toujours imaginé les choses ainsi.
Suivez-vous l'actualité musicale dans le département ?
Ces dernières années, le dialogue entre les collectivités et l'E.O.C. a permis d'accroître son rayonnement, mais les institutions devraient soutenir chaque initiative. Hélas, quand on est porteur d'un projet musical, on est toujours suspect de servir un intérêt personnel car on vient chercher l'argent public. S'il y a une frilosité, elle n'est pas dans les moyens. Avoir les moyens est en soi une volonté politique. Il suffit de penser qu'il n'y a pas de fatalité. Il y a des forces, des vivacités. Avec une volonté politique et de la concertation, on pourrait créer un quatuor à cordes, un chœur et un orchestre de chambre, une formation baroque, fédérer les énergies, «mettre en relation ». On pourrait imaginer un grand centre international de la musique française, programmer par exemple, le Roméo et Juliette de Shakespeare à la Comédie, et celui de Berlioz à l'Opéra. C'est sans fin. Les initiatives ne manquent pas, c'est la réponse aux initiatives qui pose problème. Tout à coup, on devient illégitime. Les politiques achoppent sur des points qui m'échappent...
Quels sont vos projets?
Ils sont très nombreux : un deuxième disque et une tournée avec l'E.O.C., le Ring de Wagner à Dijon avec les plus belles voix du moment, les concerts en Italie, l'opéra Julie de Boermans, un hommage à Ennio Morricone avec l'Orchestre de la Radio Italienne, en présence du compositeur au Festival Berlioz cet été... Et bien d'autres...