Dossier / Un écosystème fragilisé depuis déjà de longues années, une séquence covidée plus longue que l'épidémie elle-même, et pour finir, une inflation à l'œuvre depuis l'an dernier... En cette veille d'été, le contexte actuel complique grandement la vie des organisateurs de festivals de musique indépendants. Enquête, sur une situation marquée par la course à l'échalotte ainsi que par le sceau du manque de transparence.
Été, soleil, farniente, parfois plage et souvent musique. Très prochainement, nombre d'entre nous profiterons des grandes vacances pour flâner, sautiller ou lâcher les chevaux sur l'un des innombrables festivals de musiques actuelles que compte aujourd'hui la France. Une perspective réjouissante qui ne doit pas dissimuler le fait que, plus que jamais, la plupart de ces événements peinent aujourd'hui à rentrer dans leur frais, et remettent leur existence en jeu à chaque édition.
Durant cette dernière décennie en effet, l'économie des festivals de musiques actuelles s'est fragilisée, suite à l'accumulation de problématiques qui, in fine, grèvent les budgets, plombent les finances, et mettent certains événements en péril. Dans l'écosystème, les festivals indépendants (entendus comme non liés à des groupes industriels ou à la puissance publique ; la plupart sont associatifs) sont aujourd'hui les plus exposés aux menaces : par définition, en cas de catastrophe, rien ni personne ne pourrait dans leur cas mettre la main au porte-monnaie pour renflouer les caisses.
Une situation tendue jusqu'à frôler l'intenable
Au fil des ans, la situation s'est ainsi tendue jusqu'à frôler l'intenable. Baisses de subventions de toute part, voire, dans certaines régions comme la nôtre, manque de transparence quant à leur attribution ; évolution des réglementations impliquant de lourdes dépenses supplémentaires (la circulaire Collomb, facturant le déploiement des forces de l'ordre aux organisateurs d'événements, a laissé des traces) ; période covid ayant entraîné des baisses de fréquentation un peu partout ; et bien sûr, inflation, dont on ne sait trop sur quelle base elle est aujourd'hui calculée, mais derrière laquelle certains prestataires se cachent pour augmenter leurs tarifs de manière parfois déraisonnable.
« Malgré ces budgets de plus en plus difficiles à boucler, la plupart des organisateurs de festivals indépendants ne souhaitent pas augmenter le prix de leur billet, ou en tout cas, pas de manière à combler le manque à gagner, souligne Aurélie Hannedouche, directrice du Syndicat des Musiques Actuelles (SMA). Ces événements ont pour la plupart été fondés sur des valeurs d'accessibilité à la culture, et doivent donc le rester, les choix qui sont faits malgré cette crise en témoignent. »
Des breaks de plus en plus élevés
Résultat des courses, pour parvenir à un équilibre qui permettrait la pérennisation – ou en tout cas, de repartir pour une année supplémentaire – les organisateurs tablent sur une hausse de la fréquentation de leur événement, avec des breaks* pouvant aujourd'hui atteindre 85, 90, voire 95% de taux de remplissage de leur jauge. Pari osé, d'autant plus que les budgets des ménages ont eux aussi dernièrement fondu comme neige au soleil, et que les sorties culturelles font assez souvent partie des premiers postes de dépenses sur lesquels on rogne, lorsqu'on est un peu court financièrement.
Dans la Loire, les responsables du festival couramiaud La Rue des Artistes sont de ceux qui se font actuellement un peu de souci. Avec un nombre de préventes de billets en deçà de celui des éditions précédentes, et des charges qui ont explosé, l'ambiance n'est pas à la confiance absolue : « Bien sûr, on reste positif, et on essaie de ne pas trop s'affoler, relativisent Mustapha Kerroua et Cynthia Fort. Mais on voit aussi de plus en plus de festivals annuler leur édition une semaine avant le jour J, ce qui n'est pas très bon signe... Et comme dans le même temps, on a de plus en plus en plus de mal à boucler le budget, notamment à cause des cachets artistiques réclamés par les productions qui ne cessent d'augmenter jusqu'à atteindre des sommes un peu folles, on peine un peu à se projeter dans l'avenir ».
Cette histoire de cachets qui augmentent, quoi qu'étranglant de plus en plus de programmateurs de festivals, n'est pas tout à fait nouvelle. Mais, là où l'on pouvait espérer il y a trois ans que le monde d'après serait peut-être plus juste et équilibré, l'ère post-covid semble finalement ressembler étrangement à l'ère pré-covid... En pire.
Directrice du Foreztival présent sur le territoire forézien depuis 2005, Laure Pardon abonde en ce sens : « Tout a commencé à augmenter dès 2014-2015, dans la logique de la transformation de l'industrie musicale. Chute de vente du disque, streaming qui ne rapporte pas grand-chose... Depuis, la musique live a pris plus de place. Avant cela, le cachet d'un artiste pouvait être élevé en raison de sa durabilité, et de sa capacité à remplir des jauges sur le long terme. Aujourd'hui, et de plus en plus, tu payes de la fame. Au Foreztival, on a la chance que notre budget soit assez bien maîtrisé, depuis plusieurs années. Si bien, que, même en augmentant un peu les dépenses artistiques, on n'atteint pas les breaks de certains festivals, pour lesquels franchement... Cela devient presque mission impossible. »
Pour lire le dossier complet, voir Cachets : comment ça marche? et Un public averti en vaut deux
*Pourcentage de fréquentation à partir duquel l'équilibre financier est atteint