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Mandico, Jeunet & Caro, Gaspar Noé : l'art et la matière
Par Vincent Raymond
Publié Lundi 3 septembre 2018
Photo : © DR
Caro & Jeunet
Cinéma / À l’heure où la virtualité s’impose à chaque maillon de la chaîne cinématographique, demeure une frange de cinéastes faisant résonner leur 6e sens avec le 7e art. Pour elles et eux, filmer est un acte définitivement charnel. Ça nous a plu ; on en veut en corps !
De même que les saumons nagent à contre-courant pour frayer, certains cinéastes se révèlent remarquablement féconds en évoluant à rebours de leurs congénères. En manifestant, par exemple, un attachement viscéral à la pellicule moins pour des raisons de conservatisme rétro-snobinard que des motivations profondément artistiques — ce qui ne les empêche pas de recourir à des effets numériques. Ou en s’obstinant à spectrographier l’âme humaine à l’aune de leurs obsessions plastiques. Le premier groupe réunit à Hollywood une aristocratie d’auteurs bankable — Tarantino, Nolan, Spielberg, Scorsese, Aronofsky, Anderson (Wes & Paul Thomas), Abrams, Coen (Joel & Ethan) etc. — et rassemble en France un aréopage de cin-éaste-philes sans doute nostalgiques d’une certaine sérendipité expérimentale : Jean-Pierre Jeunet & Marc Caro, F.J. Ossang pour les “ancêtres“, Hélène Cattet et Bruno Forzani, Bertrand Mandico, Antonin Peretjatko dans la nouvelle génération… Bien souvent des courts-métragistes acharnés malaxant influences comme les bandes son et images sans tabou, jonglant d’un format à l’autre entre deux longs.
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La saison passée aura été particulièrement fructueuse pour les précités, les plus jeunes d’entre eux confirmant leur faim d’en découdre autant avec la matière filmique que la matière organique. Entre leurs doigts, l’exercice cinématographique s’apparente à une chirurgie prométhéenne dans un champ opératoire ouvert à toutes les hybridations de formes, de genres, de chromosomes, sans révérence ni préjugés. On a vu comment Laissez bronzer les cadavres de Cattet & Forzani (ressus)citait giallo, polar(s) et cinéma érotique des années 1970 dans un objet violemment scintillant et délicieusement estomaquant ; on a assisté à l’éclosion du stakhanoviste Mandico avec Les Garçons sauvages et son retour — discret ou sabordé par une sortie le 15 août ? — au sein du programme Ultra Rêve, il ne reste plus qu’à attendre de 2018-2019 des émergences supplémentaires. Plus convaincantes, à coup sûr, que celle de Yann Gonzalez…
Pères fondateurs
Précurseurs dans la “manufacture“ d’images, Caro/Jeunet ont dès leurs débuts à la fin des années 1970, montré à quel point l’optique, la composition, le cadre et les décors pouvaient participer de l’atmosphère d’un film et affirmer la patte d’un auteur. D’essence artisanale, leur écriture esthétique éprise de thèmes et de mèmes du passé ne s’est toutefois jamais privée, là non plus, de profiter d’outils numériques — quitte à les forger sur mesure — pour en améliorer le rendu patiné. Ensemble jusqu’à La Cité des enfants perdus (1995), puis chacun de leur côté, les deux cinéastes ont construit une œuvre combinant bricolage et extrême sophistication, où la création reste tangible et non le produit d’une somme de calculs. Elle est de ce fait susceptible d’être présentée dans une exposition : celle que va accueillir à Lyon le Musée Cinéma et Miniature du 13 octobre au 5 mai 2019, dans la foulée de la Halle Saint-Pierre à Paris. S’y côtoieront des objets totémiques (maquettes, nain de jardin d’Amélie Poulain…) comme des éléments préparatoires de leurs réalisations. Une manière concrète de partager leurs processus créatifs et de s’imprégner de l’atmosphère si particulière de Délicatessen, L'Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet ou Dante 01.
Et le second groupe, alors ?
Les avant-gardes ont mille visages et leurs promoteurs mille et un usages. D’aucuns font en effet profession de — pour reprendre un terme à la mode — “disruptivité“ permanente, contredisant film après film leurs manifestes définitifs ; trouvant cependant dans cette remise en question permanente une unité stylistique. Tel Lars von Trier, dont le prochain thriller The house that Jack built porte indubitablement la vénéneuse griffe. D’autres enfin customisent jusqu’à la moelle le moindre atome de leur cinéma, faisant de tout nouvel opus le complément logique d’un grand œuvre de plus en plus cohérent. C’est le cas de Gaspar Noé dont le bien nommé Climax est, littéralement, une tuerie. Plutôt bien d’entamer la saison par une promesse de fête. Bonne année !
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