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La protection fonctionnelle, singularité du droit de la fonction publique
Publié Vendredi 14 juin 2024
Me Fabienne Yver / Si le fonctionnaire se trouve dans une situation légale et réglementaire comportant de nombreuses obligations, lui sont également reconnus des droits. Le droit à la protection fonctionnelle en fait partie et constitue une obligation à la charge de l’employeur public lorsque l’agent public est mis en cause ou fait l’objet de menaces ou d’attaques à raison de ses fonctions.
Apparu originellement en 1941, le régime de la protection fonctionnelle a été établi par le statut général du 19 octobre 1946. L’article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires en avait donné une première définition.
Érigé en principe général du droit par la jurisprudence du Conseil d’État, le droit à la protection fonctionnelle est désormais codifié à l’article L134-1 du Code général de la fonction publique, qui dispose : « L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions et indépendamment des règles fixées par le Code pénal et par les lois spéciales, d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire, dans les conditions prévues au présent chapitre ».
C’est ainsi l’institution, au profit des agents publics des trois fonctions publiques, d’une protection visant à garantir leur défense et la réparation de l’éventuel dommage subi.
Champ d’application
Tout agent public, qu’il soit titulaire ou non, actuellement en activité ou ancien agent public, peut en bénéficier dès lors que les faits à l’origine de la demande de protection sont en relation avec le service public (CE, 5e sous-section, 18 octobre 1989, n° 70366) et se sont produits au moment où l’agent était encore en activité.
La protection fonctionnelle est également étendue aux proches de l’agent public : conjoint, enfants et ascendants directs, lorsqu’ils sont eux-mêmes victimes d’atteintes volontaires à leur intégrité du fait des fonctions de l’agent public ou engagent un procès civil ou pénal contre les auteurs d’atteintes volontaires à la vie de l’agent du fait de ses fonctions (article L.134-7 du Code général de la fonction publique).
L’employeur public est dans l’obligation de faire bénéficier l’agent public de la protection fonctionnelle, dès lors que la demande satisfait aux conditions légales et réglementaires :
– dans l’hypothèse où une condamnation civile a été prononcée contre l’agent public pour une faute de service,
– lorsque l’agent public fait l’objet de poursuites pénales, sans qu’une faute personnelle détachable du service ne puisse lui être imputable,
– enfin, les agents bénéficient d’une protection contre les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, injures, diffamations et outrages.
Si les conditions d’octroi de la protection juridique sont réunies, seul un intérêt général dûment justifié, dont la jurisprudence retient une conception particulièrement restrictive, peut fonder un refus de protection (CE, Assemblée, 14 févr. 1975, n° 87730 ; CE, Section, 18 mars 1994, n° 92410).
Modalités de mise en œuvre
La mise en œuvre de la protection fonctionnelle implique un préalable : l’agent doit en faire la demande.
Préalable obligatoire, la demande de l’agent n’est toutefois pas soumise à un quelconque délai ; aucune disposition légale, réglementaire ne l’impose.
La demande de protection fonctionnelle doit être formulée par écrit auprès de l’administration qui emploie l’agent au moment des faits.
Il est bien sûr préférable de l’adresser par lettre recommandée avec accusé de réception et d’y préciser les faits pour lesquels elle est sollicitée.
S’il existe des éléments de preuve (témoignages, certificats médicaux, plainte pénale, assignation devant une juridiction…), ils seront joints à la demande.
L’administration, destinataire d’une demande de protection fonctionnelle, est dans l’obligation de l’instruire : elle est tenue de répondre à la question de savoir si les conditions d’octroi sont réunies. Lorsque celles-ci sont remplies, l’employeur public doit accorder sa protection.
La décision d’octroi doit indiquer les faits au titre desquels la protection est accordée, les modalités de son organisation et sa durée.
L’administration a tout intérêt à diligenter une enquête administrative, car elle doit s’assurer de la matérialité des faits, identifier ou non une faute personnelle de l’agent ; le refus de protection fonctionnelle devant être rigoureusement motivé.
Portée de la protection
Lorsqu’elle est accordée, elle consiste notamment en la prise en charge des honoraires de l’avocat, qui peut être librement choisi par l’agent, selon le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017.
Mais elle ne se limite pas uniquement à cela. Sans être exhaustives, les mesures prises se doivent d’assurer une protection réelle, une assistance et une réparation :
Les mesures prises doivent assurer une réelle protection et permettre de faire cesser, le cas échéant, les atteintes dont l’agent est victime, par la mise en œuvre :
– d’une enquête administrative, susceptible de conduire au déplacement d’office et/ou au déclenchement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de l’auteur de l’attaque, si celui-ci est agent public,
– d’une protection matérielle et physique de l’agent ou de sa famille (changement de numéro de téléphone, d’adresse mail, d’affectation, signalement aux autorités policières ou judiciaires, demande de protection du domicile, dépôt de plainte…).
Des mesures d’assistance diverses peuvent être mises en place, tels que des dispositifs d’accompagnement psychologique, un soutien moral et institutionnel pouvant se matérialiser, par exemple, par la rédaction d’un communiqué.
Des mesures de réparation du préjudice peuvent être octroyées, comme la prise en charge des condamnations civiles ou une indemnisation du préjudice subi, par l’administration.
L’administration qui verse une indemnisation, peut ensuite se retourner contre l’auteur des faits pour obtenir la restitution des sommes versées (article L134-8 du Code général de la fonction publique).
En cas de refus, l’administration en informe l’agent par écrit. Sa décision doit être motivée et comporter la mention des voies et délais de recours.
À défaut de décision expresse, le silence gardé pendant plus de deux mois, à compter de la réception de la demande par l’administration, vaudra décision de rejet, conformément au droit commun.
À noter que le refus d’accorder la protection fonctionnelle à un agent, qui en remplit les conditions, constitue une faute susceptible d’engager la responsabilité de l’administration.
La décision d’accorder la protection fonctionnelle constituant une décision créatrice de droits, elle ne peut pas être rétroactivement retirée plus de quatre mois après sa signature, sauf dans le cas où elle aurait été obtenue par fraude (CE, section, 14 mars 2008, n° 283943).
La raison d’être de la protection fonctionnelle
Soumis à de multiples obligations, car au service de l’intérêt public, les agents publics se trouvent exposés au public, aux critiques et outrages des administrés ou parfois des autres agents.
L’employeur public se doit, dès lors, de les protéger et parfois de les défendre.
Ainsi, la protection fonctionnelle vise à garantir l’indépendance des agents, à assurer le bon fonctionnement du service, à sauvegarder l’image du service public.
Au travers de la protection de l’agent, c’est le service public que l’employeur protège.
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