Katia et Marielle Labèque : « Cette trilogie est un dialogue intense entre lumière et ombre »

Trilogie Cocteau / Philip Glass

Théâtres romains de Fourvière

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Rencontre / Après avoir ébloui les publics de Paris, Dublin et Londres, Katia et Marielle Labèque se préparent à retrouver le théâtre de Fourvière pour présenter leur dernier chef-d’œuvre, la Trilogie Cocteau, triptyque opératique de Philip Glass inspiré des films du génie français.

Une simple interview peut-elle se transformer en voyage sentimental et mémorial ? Certainement si nous retrouvons Katia et Marielle Labèque, pianistes parmi les plus fascinantes au monde dont le répertoire s’étend du baroque au jazz, du romantisme au minimalisme, jusqu’à côtoyer le rock et la musique expérimentale.

Au commencement était l’Italie

Il y a un lien profond avec le bel paese (beau pays) dans les origines de leur passion pour la musique. Une histoire familiale tissée de grandes figures à cheval entre deux siècles. Leur mère, Ada Cecchi, était l’élève de l’immense pianiste Marguerite Long à son tour amie de Debussy, grande interprète de Ravel et Fauré et capable de défier les clichés et les menées misogynes de l’époque. Ada était originaire de Torre del Lago, en Toscane, lieu de résidence de Giacomo Puccini. « Quand nous étions petites, Mamma nous a transmis l’amour pour la musique. Et l’Italie on l’a toujours eue dans le sang ! », se rappelle Marielle.

Rome et Florence : la rencontre avec la beauté brute

C’est peut-être pour cette raison que, à plusieurs reprises dans leur vie, elles ont décidé de renouer avec l’Italie, la choisissant comme lieu de résidence et de travail. Elles vivent aujourd’hui à Rome, à quelques pas des Fori imperiali (forums impériaux) et aiment parler de la dolce vita italienne ainsi que de ce patrimoine incrusté dans une ville vivante et chaotique, partie intégrante de leur quotidien. « Nous avons grandi avec l’image de l’Italie comme le Pays idéal. Aujourd’hui, quand nous sortons de chez nous, nous voyons la beauté brute, sans discussion : il ny a pas besoin d’explication, c’est quelque chose de fou. Rome est une ville incroyable, grouillante de vie ! On y vit, c’est vrai, mais on voyage tellement et quand on y retourne, on continue à être émerveillées par la beauté de cette ville et de ce Pays : on ne s’y habitue jamais. Avant on habitait à Florence et à chaque fois que on y retournait c’était pareil. Florence est une ville incroyable mais les Florentins ne sont jamais sortis de la Renaissance ! À Rome, en revanche, il y a plus de stratification, c’est une espèce de chaos, mais très beau. Tu sors de chez toi et tu vois la Rome antique, la Renaissance, les architectures baroques, et enfin le côté moderne : cest une ville qui nous correspond plus », déclare Katia.

© Stefania Paparelli

La musique horizontale de Luciano Berio

 « Le premier qui a commencé vraiment à écrire pour nous c’était Luciano Berio. C’était un ami, mais il a été beaucoup plus. Il a été une inspiration constante parce qu’autant Pierre Boulez était très fermé à beaucoup d’autres styles de musique, autant Luciano était très ouvert. On passait des soirées entières à écouter les chansons des Beatles, avec Cathy Berberian qui chantait et avec John McLaughlin qui l’accompagnait à la guitare. Il adorait la musique africaine, les rythmes africains. La seule musique où il n’adhérait pas beaucoup, c’est la musique indienne » se rappelle Katia, avant d’ajouter : « Luciano était un personnage. Il pouvait arriver chez toi le soir et te cuisiner un poisson au sel à 20h et il adorait ça. Il adorait cuisiner et être en bateau : la mer, c’était vraiment sa passion. On a eu des moments très privilégiés avec lui et on a joué énormément son Concerto pour deux pianos. Ce n’était peut-être pas le meilleur chef du monde, mais il avait sans doute une très grande personnalité : on ne pouvait pas le quitter des yeux et on était à fond tout le temps sur chaque indication qu’il pouvait nous donner ».

Marielle se souvient d’autres soirées passées avec le compositeur d’Oneglia : « Lui, il adorait Fantasie de Schubert : cest une pièce qu’il aimait tellement. Je me souviens aussi qu’on jouait les Quatuors de Brahms à quatre mains parce qu’il ne faut pas jouer les deux mains. Il adorait ce répertoire ! Son père et son grand-père étaient musiciens donc il avait toujours la musique de chambre chez lui. Luciano était un très fin connaisseur mais c’était aussi une très belle personnalité. On a eu beaucoup de chance de le rencontrer quand on était toutes jeunes : on a créé son concerto en 1972 au Festival de Royan ! ».

Et par rapport à celle des autres collègues de l’époque, comment était la musique de Berio ? « Un jour il nous avait demandé de définir la musique de Boulez et la sienne : on lui a dit que celle de Boulez était très verticale tandis que la sienne était beaucoup plus horizontale. Il avait adoré l’idée d’être horizontal ! » évoque Katia.

Interpréter, c’est rendre vivant

L’interprétation vivante et vivifiante semble être inscrite dans l’ADN des sœurs Labèque. Marguerite Long considérait l’interprète comme celui qui devait réveiller « la musique endormie sur le papier » et la faire entendre au compositeur en personne. Philip Glass, de son côté, a toujours encouragé les interprètes à s’approprier ses partitions et leur donner une liberté totale. « Philip est quelqu’un de très généreux – confesse Katia – Quand on lui a demandé des conseils sur le Concerto pour deux pianos, il nous a dit : "Mais c’est à vous ! Moi je l’ai écrit pour vous, maintenant il est à vous et faites vraiment comme vous le sentez !". Il nous a toujours encouragé et il aime quand on varie le plus de dynamiques possibles. Il trouve que c’est bien de s’éloigner de l’histoire du Minimalisme où on doit tout jouer égal et un peu mécanique. Il dit souvent "Joue comme si c’était du Schubert ! Joue comme si c’était du Chopin !". Sa musique est tellement riche et se nourrit de compositeurs extraordinaires, comme Ravel et Debussy, qui traversent son œuvre et résonnent évidement dans l’interprétation de ses pièces ».

Avec Philip Glass © David Chalmain

Une rencontre exceptionnelle : Philip Glass

L’extraordinaire carrière des sœurs Labèque a été enrichie par des collaborations avec des immortels de l’histoire de la musique : Pierre Boulez, Luciano Berio, György Ligeti, Olivier Messiaen. Mais il en est une qui a changé radicalement leurs vies depuis une dizaine d’années : celle avec Philip Glass. « On l’a rencontré en 2015 quand on a créé son Concerto », se remémore Katia avant de reprendre : « C’était comme si on l’avait toujours connu. Il nous a dit tout de suite que nous devions jouer Les enfants terribles. La partition est arrivée en 2019 : c’était un cadeau merveilleux et on s’est mis à le travailler pendant le confinement. Et là, ça nous a donné l’idée de commissionner Michael Riesman pour qu’il fasse Orphée et La Belle et la bête. Chaque opéra est tellement différent. Orphée est beaucoup plus intime, il y a quelque chose qui rappelle Debussy. En revanche, La Belle et la bête est très romantique, où semble résonner la Sonate Funèbre de Chopin. Les enfants terribles est probablement le plus moderne et très dur : cest d’ailleurs le seul qui finisse mal ».

« J’ai revu La Belle et la bête il ny a pas longtemps : cest magnifique ! reconnait MarielleCe film, c’était vraiment du génie. C’est fou davoir fait ça en 46 ! Cest tellement beau, tellement poétique. Lorsque je joue, je me repasse les images du film : je pense notamment à quand elle arrive dans le dans le château avec ces rideaux blancs qui volent dans le vent. J’avais vu le film quand j’étais très jeune et je ne m’en souvenais pas du tout. Aujourd’hui je le regarde et je le vis d’une façon différente ».

© Denis Allard

Trilogie Cocteau : une histoire de dualités

« Cette trilogie, dont la production est organisée par la Philharmonie de Paris et magnifiée par la direction artistique de Cyril Teste et la scénographie de Nina Chalot, est une œuvre axée sur un dialogue intense entre des dualités : Cocteau et Glass, nous deux, la Belle et la bête, Paul et Elisabeth (les protagonistes de Les enfants terribles), lumière et ombre », dépeint Marielle. Et continue : « Dans cette dualité entre nous, moi je vais toujours chercher à m’évader à tort ou à raison et Marielle va toujours essayer de cadrer ça. Et c’est certainement ça qui fonctionne : on joue différemment les basses. Les basses c’est ce qui te ramène à la maison ! Alessandro Baricco avait écrit quelque chose de très beau là-dessus, notamment sur la Fantaisie de Schubert et sur ce rôle des basses : tu peux t’éloigner, tu t’envoles mais après tu reviens toujours à la maison ».

« On ne peut comparer Fourvière à aucun autre lieu au monde »

Le grand théâtre de Fourvière parait être l’endroit idéal pour présenter ces dialogues pianistiques et Katia ne cache pas son admiration : « Fourvière est un lieu magique : on ne peut le comparer à aucun autre lieu au monde ! Ce théâtre, cette ambiance, nous ont toujours fasciné. Quand nous avons eu l’occasion d’y jouer, nous avons vécu des moments extraordinaires, où le silence créait l’impression que le temps s’était arrêté et que rien en dehors de la musique pouvait exister à ce moment précis. On aimerait que le public puisse, pendant une heure et demie, oublier tout ce qui se passe en ce moment dans le monde, afin de leur offrir un moment de beauté grâce à Glass et Cocteau ».

Et s’il fallait choisir trois mots pour décrire la soirée de vendredi 28 juin à Fourvière, Katia et Marielle Labèque ne semblent pas avoir d’hésitation : "météo" (« que le ciel soit clément ! »), "magie" et "inspiration". Trois mots pour occasionner, dans l’incantation de l’art, la rencontre entre verticalité et horizontalité.

Philip Glass / Katia et Marielle Labèque : Trilogie Cocteau
Au Grand théâtre de Fourvière le vendredi 28 juin

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