Vers une simplification de la procédure de délivrance des dérogations espèces protégées ?

Me Manon Leroy / La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables fait évoluer la procédure de délivrance des dérogations espèces protégées. Explications sur cette simplification procédurale annoncée en faveur des énergies renouvelables.

Dérogation espèces protégées, kesako ?

En principe, il est fait interdiction de détruire, d’altérer et de dégrader les spécimens d’espèces protégées et habitats visés par l’article L. 411-1 du Code de l’environnement. C’est donc uniquement par exception que certains projets peuvent solliciter la délivrance d’une dérogation à cette interdiction, communément appelée dérogation « espèces protégées ».

L’obtention de cette dérogation suppose la réunion de trois conditions, à savoir :

– L’absence de solution alternative satisfaisante ;

– L’absence de nuisance pour le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle ;

– La justification de la dérogation par l’un des motifs énumérés à l’article L. 411-2 du Code de l’environnement parmi lesquels figurent « l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques » ou « d’autres raisons impératives d’intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique » et « des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l’environnement ».

La guerre en Ukraine, quelle incidence ?

Confrontée à la guerre menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine et à la réduction sans précédent des livraisons en gaz naturel de la Russie à destination des États membres de l’Union des vingt-sept, entraînant ainsi une flambée des prix de l’énergie, l’Union Européenne a pour ambition d’accélérer le déploiement des sources d’énergies renouvelables pour atténuer les effets de la crise énergétique actuelle.

C’est dans ce contexte que le législateur français a doté le Code de l’énergie d’un nouvel article précisant la portée de l’une des mesures d’urgence identifiée par le règlement (UE) 2022/2577 du Conseil du 22 décembre 2022, lequel semble de prime abord assouplir la reconnaissance de l’une des conditions posées par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement.

Ainsi, aux termes de l’article L. 211-2-1 du Code de l’énergie, dans sa rédaction issue de l’article 19 de la loi n° 2023-175 du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, certains projets énumérés « sont réputés répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, au sens du c du 4° du I de l’article L. 411‑2 du Code de l’environnement, dès lors qu’ils satisfont à des conditions définies par décret en Conseil d’État ». Ces conditions, fixées par décret n° 2023-1366 du 28 décembre 2023, tiennent compte du type de source d’énergie renouvelable, de la puissance prévisionnelle totale de l’installation projetée et de la contribution globale attendue des installations de puissance similaire à la réalisation des objectifs mentionnés par la programmation pluriannuelle de l’énergie.

L’apparente simplification de la procédure d’octroi des dérogations espèces protégées

Officiellement, cette intervention législative vise à simplifier la procédure d’octroi des dérogations espèces protégées et ainsi permettre le déploiement facilité des énergies renouvelables.

En ce sens, elle permet également de répondre à un besoin exprimé par les porteurs de projets concernant la sécurisation juridique des projets de production d’énergies renouvelables ayant une incidence sur la biodiversité protégée et dont la réalisation implique l’octroi d’une dérogation espèces protégées.

Pourtant, la portée de cette simplification demeure limitée pour plusieurs raisons. D’une part, parce que la présomption prévue par l’article L. 211-2-1 du Code de l’énergie ne vise que certains projets.

En effet, ne sont concernés que les projets d’installations de production d’énergies renouvelables, les projets de stockage d’énergie dans le système électrique, et les ouvrages de raccordement aux réseaux de transport et de distribution d’énergie.

Étant précisé que le législateur définit comme étant une « énergie renouvelable »,  l’énergie produite à partir de sources non fossiles renouvelables, à savoir l’énergie éolienne, l’énergie solaire thermique ou photovoltaïque, l’énergie géothermique, l’énergie ambiante, l’énergie marémotrice, houlomotrice ou osmotique et les autres énergies marines, l’énergie hydroélectrique, la biomasse, les gaz de décharge, les gaz des stations d’épuration d’eaux usées et le biogaz (article L. 211-2 du Code de l’énergie).

Ces projets doivent en outre répondre aux conditions fixées par décret du 28 décembre 2023 (précité) et reprises aux articles R. 211-1 à
R. 211-6 du Code de l’énergie (article R. 411-6-1 du Code de l’environnement).

À titre d’exemple, un projet éolien situé sur le territoire métropolitain continental sera réputé répondre à une raison impérative d’intérêt public majeur, si la puissance prévisionnelle totale de l’installation est supérieure ou égale à 9 mégawatts et si la puissance totale du parc éolien terrestre raccordé à ce territoire, à la date de la demande de dérogation, est inférieure à l’objectif maximal de puissance du parc éolien terrestre sur ce territoire par référence à la programmation pluriannuelle de l’énergie (article R. 211-2 du Code de l’énergie).

D’autre part, cette présomption ne vise que l’une des trois conditions posées par l’article L. 411-2 du Code de l’environnement pour prétendre à l’obtention d’une telle dérogation.

Les porteurs de projets ne sont donc pas dispensés de la démonstration de l’absence de solution alternative satisfaisante et de l’absence de nuisance pour le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle. La présomption ainsi créée ne laisse dès lors aucune place à un assouplissement de ces deux autres conditions.

Enfin, cette présomption demeure réfragable.

Les opposants aux projets à naître pourront donc tenter de faire obstacle au bénéfice de cette présomption relative à l’existence d’une raison impérative d’intérêt public majeur en apportant la preuve contraire.

En pratique, il pourrait par exemple s’agir de démontrer que le projet querellé ne permettrait pas de contribuer aux objectifs fixés en matière d’énergies renouvelables par la programmation pluriannuelle de l’énergie laquelle s’articule, par ailleurs, avec différents plans, programmes et stratégie comme le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (Sraddet) et le schéma régional du climat de l’air et de l’énergie (SRCAE), entre autres.

La simplification annoncée de la procédure de délivrance des dérogations espèces protégées semble donc devoir être relativisée, celle-ci ne devant pas conduire à un recul de la protection de la biodiversité.

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