Les prêts familiaux et les reconnaissances de dettes

Me Charles-Alexandre Camoz / Dans un contexte économique marqué par une inflation importante et une remontée des taux d’intérêt des prêts bancaires depuis 2022, les personnes en recherche de financements se tournent vers des solutions alternatives et il est fréquent de faire appel à un soutien familial.

Bien que les opérations de crédits soient réglementées et correspondent au monopole des banques, le Code monétaire et financier admet la possibilité pour un particulier de prêter de l’argent, à condition que ce ne soit pas récurrent.

Les enjeux de qualification des flux financiers

Si un prêt bancaire requiert nécessairement un écrit et le respect de règles formelles, notamment dictées par le droit de la consommation,  a contrario un prêt entre particuliers se forme par la simple remise des fonds à l’emprunteur, sans qu’un écrit constatant l’accord des deux parties ne soit imposé. En pratique, il est donc courant qu’au sein des cercles familiaux et amicaux l’on se rende service de manière informelle. La difficulté qui en découle est alors celle de la qualification de ce flux financier et des litiges peuvent être engendrés par l’imprécision. On pense nécessairement à la difficulté de recouvrer sa créance pour le prêteur (créancier), confronté à la mauvaise foi ou à l’amnésie de son emprunteur (débiteur). Pour autant les enjeux et les risques ne concernent pas uniquement le prêteur, car l’emprunteur lui-même pourra regretter de ne pas disposer de preuves écrites.

Enjeux familiaux

Dans un contexte successoral, un enfant qui a emprunté de l’argent à son parent risque d’entendre ses frères et sœurs lui reprocher d’avoir bénéficié d’une donation s’il n’est pas en mesure de prouver que cet argent lui avait été prêté, et qu’il l’a d’ailleurs remboursé depuis lors. L’enjeu est important, car rappelons qu’au stade de la succession, les donations sont « rapportables », il s’agit en principe d’avances sur l’héritage, donc celui qui a déjà reçu du vivant du parent percevra moins que les autres héritiers au décès, de manière à rétablir l’égalité entre les héritiers. Au sein d’un couple, il est également fréquent de rencontrer de telles difficultés de qualification des flux financiers.

Enjeux fiscaux

Si aucun écrit n’est établi pour expliquer que le flux financier correspond à un prêt, l’administration fiscale pourrait considérer que l’opération correspond à une donation, et en fonction du degré de parenté entre les deux personnes les enjeux financiers peuvent être très importants. Par exemple si une personne emprunte 50 000 euros à un ami avec lequel elle n’a aucun lien de parenté, l’administration fiscale pourrait chercher à qualifier l’opération de donation et réclamer l’impôt correspondant : à savoir un montant de 60 % de la somme donnée, lorsque l’opération concerne des personnes sans liens de parenté ! On l’aura compris, la première vertu d’une reconnaissance de dette écrite est tout simplement de confirmer sans ambiguïté que le flux financier entre les deux personnes correspond bien à un prêt.

L’importance de constater l’existence de la dette par écrit

Communément l’expression de « reconnaissance de dette » est employée, mais quand bien même l’opération concerne des particuliers on peut parfaitement parler d’un « contrat de prêt ». La différence entre les deux appellations n’est pas essentielle, l’idée étant que lorsque l’on reconnaît l’existence d’une dette, la somme a déjà été préalablement remise entre les mains de l’emprunteur, alors que dans le contrat de prêt il y a plutôt l’esprit d’une concomitance entre la signature de l’acte et la remise des fonds. En outre, la reconnaissance de dette peut être signée par le seul débiteur, alors que le contrat de prêt est nécessairement signé par les deux parties.

L’acte sous seing privé

Il n’existe pas de formalisme imposé pour régulariser l’existence d’un prêt entre particuliers, ces derniers peuvent établir un acte écrit très simple et peu détaillé, dont l’intérêt premier sera d’indiquer le montant dont il s’agit (à écrire en chiffres et en lettres), et le fait que les deux parties reconnaissent qu’il s’agit effectivement d’un prêt (de manière à exclure toutes autres qualifications, en particulier celle d’une donation). On parle d’acte « sous seing privé » en ce que les parties le signent en privé, directement entre elles, par distinction avec l’acte authentique signé auprès d’un notaire. Des aides à la rédaction sont mis à disposition sur le site du service public : https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/R38209.

Si les parties souhaitent privilégier la signature d’un simple document sous seing privé, il est tout de même conseillé de se rapprocher des services fiscaux pour procéder à l’enregistrement du document (coût de 125 euros), de manière à justifier du fait qu’il n’a pas été antidaté. En effet, un héritier malveillant pourrait être tenté de produire une fausse reconnaissance de dette en inscrivant une date antérieure au décès de son parent, notamment pour faire croire à ses frères et sœurs que son parent lui devait de l’argent et qu’en conséquence l’héritage doit servir en priorité à le rembourser ! Le Code général des impôts prévoit également que le prêt (verbal ou écrit) doit obligatoirement être déclaré à l’administration fiscale lorsque le montant excède 5 000 euros, et ce via l’imprimé n° 2062 (Cerfa n° 10142). Il s’agit de permettre à l’administration fiscale de contrôler que des particuliers ne pratiquent pas l’octroi de prêts de manière récurrente, avec des taux d’intérêt supérieurs au taux de l’usure, ou encore sans déclarer les revenus perçus grâce à ces intérêts (le créancier percevant des intérêts doit effectivement les déclarer chaque année au moyen de l’imprimé n° 2561).

L’acte notarié

Pour renforcer la sécurité de l’opération, il est recommandé d’établir un acte notarié. Contrairement à des idées préconçues, le coût d’un tel acte n’est pas très élevé proportionnellement aux sommes en jeu. L’émolument du notaire tarifé par l’État est calculé selon un barème dégressif de 1, 29 % à 0, 266 %, par exemple pour un prêt de 30 000 euros le coût global est de l’ordre de 500 euros et pour un prêt de 150 000 euros le coût est de l’ordre de 800 euros.

L’acte notarié a l’avantage de conférer :

– une date certaine : on ne pourra pas reprocher aux parties d’avoir essayé d’antidater leur acte de prêt, si cet acte a été signé par-devant notaire avant la date de décès de l’un des deux protagonistes, alors les héritiers de ce dernier ne pourront pas le contester.

– une force probante : il est extrêmement compliqué de contester la véracité du contenu d’un acte notarié dès lors que l’accord des parties a été constaté par-devant le notaire, officier public, il faudrait mener une procédure d’inscription en faux en écriture publique pour le contester.

– une force exécutoire : le prêteur disposera d’une copie exécutoire de l’acte notarié qui lui permettra de recouvrer sa créance de manière simplifiée, dans l’hypothèse où l’emprunteur ne le rembourserait pas.

Faire appel à un notaire permettra également de disposer de ses conseils, particulièrement quant aux clauses à intégrer dans l’acte. Outre un exposé en début d’acte, lequel permettra d’expliquer le contexte et le motif du prêt, le notaire conseillera les parties sur les sujets de l’intégration ou non d’un taux d’intérêt, des modalités de remboursement, de l’opportunité de prévoir une garantie dans le contrat ou encore du sort du contrat en cas de décès de l’une des deux parties.

L’importance de se ménager la preuve des remboursements

Pour éviter que le prêt ne soit requalifié en donation, il est essentiel d’établir la preuve écrite de la qualification de prêt, mais il est aussi important pour l’emprunteur de se ménager des preuves quant à l’acquittement de sa dette. En effet, si l’emprunteur ne parvient pas à prouver qu’il a remboursé le prêteur, il s’expose au risque que ce dernier lui réclame le paiement une seconde fois, ou que les héritiers du prêteur considèrent que l’acte de reconnaissance de dette n’était qu’une façade, qu’il cache en réalité une donation déguisée en ce que le prêteur et l’emprunteur savaient dès le départ que le prêt n’avait pas vocation à être remboursé !

Pour se protéger, il est donc conseillé à l’emprunteur de privilégier les remboursements par virements plutôt que par la remise d’espèces, et de demander au prêteur de signer des quittances à l’occasion de chacun des paiements, à l’instar de quittances de loyers. Est également conseillée la mise en place d’un échéancier avec des remboursements automatiques réguliers et la conservation des relevés de comptes correspondant. Dans l’hypothèse d’un remboursement en une seule échéance, ou encore à l’issue du règlement complet de toutes les échéances prévues au contrat, l’emprunteur pourra à nouveau solliciter le notaire à l’effet de signer un acte de quittance par lequel le prêteur reconnaîtra que l’emprunteur s’est effectivement acquitté de son obligation de remboursement. Un tel acte est également encadré par un tarif légal (barème dégressif de 1, 935 % à 0, 532 %, par exemple pour un acte de quittance d’une somme de 105 000 euros le coût global est de l’ordre de 1 100 euros).

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