Harcèlement moral : que doit faire l'employeur ?

Cette interdiction s’accompagne d’une protection du salarié et d’une obligation de prévention et de sécurité, à la charge de l’employeur.

La multiplication des demandes judiciaires à ce sujet et les enjeux indemnitaires qui en découlent doivent inciter les employeurs à mettre en place une démarche préventive en amont et à répondre rapidement en cas de dénonciation de harcèlement moral, même si elle ne provient pas de la victime directe.

Le salarié victime ou témoin bénéficie d’une protection légale

Le Code du travail institue la même immunité que celle du lanceur d’alerte au bénéfice du salarié qui dénonce, de bonne foi, des faits de harcèlement moral : toute sanction à son égard est nulle, même si la plainte est réalisée à tort ou si le harcèlement n’est finalement pas reconnu.

Selon la jurisprudence, la mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce, ce que l’employeur doit prouver. À défaut, la seule référence, dans une lettre de licenciement à des accusations de harcèlement formulées par le salarié, bien que non fondées, rend le licenciement nul, même si la lettre mentionne d’autres reproches susceptibles de justifier le licenciement : la nullité du motif « contamine » tous les autres motifs (cass. soc. 10 juin 2015 n° 13-25554).

Cette protection joue même si le salarié n’utilise pas expressément le terme de « harcèlement moral », dès lors que l’employeur ne peut pas ignorer, à la lecture de l’écrit, que le salarié dénonce de tels faits (cass. soc. 19 avril 2023 n° 21-21053).

Le salarié, dont le licenciement est jugé nul obtient, s’il la demande, sa réintégration dans l’entreprise, laquelle doit lui régler une indemnité égale aux salaires dont il a été privé depuis la rupture du contrat. S’il ne la demande pas, l’employeur est condamné à lui verser une indemnité au moins égale aux salaires des six derniers mois, sans plafond, quelle que soit l’ancienneté du salarié. Le barème des dommages et intérêts de l’article L1235-3 du Code du travail est inapplicable dans ce cas.

Le salarié peut aussi obtenir la condamnation de l’entreprise, aussi bien devant la juridiction du travail que celle de la sécurité sociale (reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur en cas d’accident ou de maladie professionnels), sur le fondement de la violation de l’obligation de sécurité.

Les juges tiennent compte des diligences accomplies par l’employeur avant et après le signalement des actes de harcèlement.

En amont, l’employeur doit prévenir le harcèlement moral

L’employeur doit prévenir les risques professionnels, en incluant la prévention spécifique du harcèlement moral.

Rappeler l’interdiction du harcèlement moral dans le règlement intérieur et informer les salariés des peines encourues (deux ans de prison et 30 000 euros d’amende) est obligatoire mais ne suffit pas.

Prendre des mesures pour faire cesser le harcèlement ne suffit pas non plus : l’employeur doit justifier avoir pris « toutes les mesures de prévention visées aux articles L4121-1 et L4121-2 du Code du travail et notamment des actions d’information et de formation propres à prévenir la survenance d’un harcèlement moral » (Cass. Soc. 1er juin 2016, n° 14-19702).

L’employeur doit, par exemple, veiller à ce que les méthodes utilisées dans l’entreprise ne favorisent pas un climat délétère, réfléchir à son organisation du travail, à la place accordée au dialogue social, faciliter le repérage du harcèlement moral.

Cela nécessite de recueillir des conseils juridiques, de former les salariés, de prévoir un canal de traitement du harcèlement, d’impliquer notamment les élus du CSE et le médecin du travail.

En cas de dénonciation, l’employeur doit réagir vite

1. Répondre au salarié qui dénonce et le protéger

L’employeur doit réagir dès qu’il lui est rapporté un harcèlement moral, même s’il est convaincu que l’accusation n’est pas justifiée. En effet, la jurisprudence considère que son inertie est une violation de son obligation de sécurité, même en l’absence de harcèlement moral.

À l’inverse, la réaction rapide en cas de dénonciation peut exonérer l’employeur qui aura, en amont, tout fait pour prévenir la situation.

Répondre rapidement au salarié que la dénonciation va être examinée et mettre en place une protection est donc la première démarche à adopter. L’employeur peut alors faire appel à un spécialiste des risques psychosociaux, éloigner l’auteur présumé du harcèlement le temps de mener l’enquête permettant de faire la lumière sur les faits.

2. Mener une enquête

Toute situation de souffrance au travail n’étant pas nécessairement un harcèlement moral, les investigations de l’employeur doivent lui permettre de s’assurer de la matérialité des faits, ce qui est d’autant plus complexe que le Code du travail ne dresse pas une liste de comportements harcelants.

L’enquête doit permettre de comprendre le contexte de la victime et celui de l’auteur présumé, lequel peut également être victime de harcèlement moral.

Elle doit aussi être menée de façon loyale et discrète : si les faits ne sont pas établis, la personne qui a été accusée de harcèlement doit pouvoir recommencer à travailler avec ses collègues.
Le recours à un médiateur pourra être envisagé pour cela.

Alors qu’auparavant la jurisprudence exigeait que l’enquête soit contradictoire pour ménager la protection de la victime et les droits du salarié accusé de harcèlement, désormais, elle laisse l’employeur très libre de la façon de procéder, sous réserve d’obligations éventuellement prévues par la convention collective applicable à l’entreprise.

L’employeur peut mener l’enquête, seul, décider ou non de faire intervenir le CSE. Il peut confier l’enquête à un avocat, dont la connaissance du droit et la déontologie l’habilitent pour ce mandat.

Concernant les renseignements collectés, il peut s’agir d’auditions, d’e-mails, de comptes rendus d’entretiens, d’alertes de la médecine du travail, de témoignages, l’employeur étant libre du choix des témoins.

Le harceleur présumé n’a pas à être préalablement informé de l’enquête, il n’a pas à être auditionné (cass. soc. 17 mars 2021, n° 18-25597), l’employeur n’a pas l’obligation de lui donner accès aux pièces recueillies, ni de le confronter aux collègues qui le mettent en cause (cass. soc. 29 juin 2022 n° 20-22220).

À l’issue de l’enquête, l’employeur doit prendre une décision : si le harcèlement moral n’est pas constitué, il doit tenir compte de la situation de souffrance qu’il a recueillie. Si le harcèlement est avéré, l’employeur est tenu de sanctionner le salarié harceleur.

3. Sanctionner

Le Code du travail n’impose pas le choix de la sanction, mais la jurisprudence considère que le harcèlement moral justifie le licenciement pour faute grave.

L’employeur ne peut pas se contenter d’un avertissement, sans prendre de mesures pour protéger la victime du harcèlement, car cela constituerait un manquement grave à son obligation de sécurité et permettrait à la victime de prendre acte de la rupture de son contrat de travail ou de demander en justice la résiliation du contrat aux torts de l’employeur, dès lors que la situation rend impossible la poursuite du contrat de travail.

L’employeur qui licencie pour faute grave l’auteur du harcèlement moral, doit veiller à établir la matérialité, l’imputabilité et la gravité des faits reprochés. À défaut, il s’expose à ce que ce licenciement soit jugé sans cause réelle et sérieuse, le doute profitant au salarié.

L’enquête qui aura été menée sera déterminante pour l’employeur : c’est une preuve recevable en justice, qui permettra à la fois de justifier de la mise en œuvre de l’obligation de sécurité à l’égard de la victime et de justifier du licenciement de l’auteur des faits s’il s’avère que le harcèlement moral est caractérisé.

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