Responsabilité civile des parents : un revirement de jurisprudence ?

Me Caroline Blanchard de la Brosse / Le 17 mai 2024, la Cour de cassation s’est penchée sur la question des critères à remplir afin d’engager la responsabilité civile des parents séparés à l’égard des actes de leurs enfants mineurs. À cette occasion, la Cour est appelée à réinterroger sa propre jurisprudence.

L’évolution jurisprudentielle en matière de responsabilité civile des parents

L’article 1242 alinéa 4 du Code civil pose le principe selon lequel les parents sont tenus civilement responsables des actes de leur enfant mineur, lorsque deux conditions sont remplies :

– exercer l’autorité parentale ;

– l’enfant mineur doit habiter chez ses parents.

À la création du Code civil, la responsabilité civile reposait essentiellement sur une présomption de faute des parents. Ils ne pouvaient s’exonérer qu’en prouvant l’absence de faute de surveillance, ou d’éducation.

Depuis, la jurisprudence a considérablement évolué.

En effet, la présomption de faute a été remplacée par la présomption de responsabilité de plein droit pour les dommages causés par l’enfant. Même sans faute de l’enfant et quel que soit son âge, les parents ne peuvent s’exonérer qu’en rapportant la preuve d’une faute de la victime ou de la force majeure.

La notion de cohabitation a également évolué, au point d’être entendue de façon purement juridique et abstraite sans prise en compte de la réalité de la situation.

En ce sens, la Cour de cassation a jugé que la cohabitation cesse seulement lorsque l’enfant mineur a été confié à la suite d’un jugement à d’autres personnes que ses parents, qui engagent alors leurs responsabilités sur le fondement de l’article 1242 alinéa un du Code civil.

La Cour de cassation a également pu décider que la cohabitation avec les parents ne cesse pas lorsqu’il se trouve à l’école, en internat, en vacances, chez ses grands-parents ou même chez sa grand-mère à laquelle ses parents l’ont confié depuis plus de dix ans.

En cas de séparation des parents, la cohabitation résulte de la seule fixation par le juge de la résidence de l’enfant, au domicile de l’un des parents, dans l’immense majorité des cas, la mère. De sorte que si l’enfant cause des dommages alors qu’il se trouve avec son père pendant son droit de visite et d’hébergement, ce dernier ne sera pas civilement responsable de ces dommages dont la charge pèsera sur la mère.

Compte tenu des évolutions sociétales, la Cour de cassation peut-elle maintenir sa jurisprudence actuelle en la matière ?

Le cas soumis à l’assemblée plénière de la Cour de cassation

Les faits soumis à la Cour sont les suivants ; entre le 29 juin et le 12 septembre 2017, 18 incendies se déclaraient, retardant, interrompant la circulation de certains trains et causant des dommages évalués à plusieurs millions d’euros.

Par un jugement du 21 septembre 2020, le tribunal pour enfants a déclaré, le mineur, coupable d’avoir, à 17 reprises, commis ces faits de nature criminelle. Le tribunal pour enfants a déclaré civilement responsable ses deux parents, qui depuis leur divorce, exerçaient en commun l’autorité parentale à son égard. Étant précisé que la résidence habituelle était fixée d’un commun accord chez la mère, le père bénéficiant d’un droit de visite et d’hébergement classique.

Le père a interjeté appel de ce jugement.

Par un arrêt rendu le 17 juin 2022, la chambre des mineurs de la cour d’appel a infirmé le jugement, laissant à la mère et à son assureur la charge d’indemniser les victimes.

Or, le contrat d’assurance souscrit par la mère comporte en matière de dommages immatériels, un plafond d’indemnisation largement dépassé par les dommages causés par son fils, l’obligeant à rembourser les dommages dont le montant serait supérieur à cette franchise.

La mère et le fils ont formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt ainsi que les parties civiles.

La question qui est posée à la Cour de cassation est de savoir si les deux parents peuvent être tenus civilement responsables des actes de leur enfant mineur du seul fait qu’ils exercent conjointement l’autorité parentale, sans qu’il n’y ait plus besoin de s’interroger sur le lieu de résidence habituel de l’enfant ?

Les parties au pourvoi sollicitent un revirement de jurisprudence afin que lorsque les parents exercent en commun l’autorité parentale à l’égard de leurs enfants, ils soient solidairement responsables des dommages causés par ceux-ci, sans que cette responsabilité ne dépende du lieu où a été fixée la résidence de l’enfant.

Les enjeux du cas soumis à la Cour de cassation

La question posée à la Cour de cassation revêt un fort enjeu sociétal à plusieurs égards.

Tout d’abord, au regard du nombre de couples parentaux et d’enfants concernés. Selon l’Insee, en France, en 2020, 8 millions de familles résidaient avec un enfant mineur à la maison. Parmi celles-ci, 25 % étaient monoparentales, soit 2 millions de familles, 9 % étaient recomposées, c’est-à-dire des familles où il y a dans le logement un couple et au moins un enfant né avant l’union.

En 2018, au sein des familles monoparentales, 4 millions d’enfants, 85 % d’entre eux vivaient avec leur mère. Par ailleurs, en 2020, 12 % des enfants dont les parents étaient séparés vivaient en résidence alternée.

Ensuite, un fort enjeu sociétal, car malgré plusieurs avant-projets de réforme du droit de la responsabilité civile, comme le projet de réforme du droit de la responsabilité civile présenté en 2017 par le garde des Sceaux, qui proposait de supprimer la condition de cohabitation dont dépend la responsabilité civile des parents, le texte de l’article 1242 alinéa 4 du Code civil n’a pas toujours pas été modifié.

L’analyse de la cohabitation par la Cour de cassation est très critiquée par la doctrine qui a évoqué une conception abstraite déconnectée de la réalité.

D’ailleurs, certains juges du fond, dont notamment ceux du tribunal pour enfants dans l’affaire citée, ne l’appliquent pas et retiennent soit le seul critère de l’exercice conjoint de l’autorité parentale pour faire peser cette responsabilité sur les deux parents, soit le lieu de résidence effective de l’enfant au moment du dommage pour faire jouer la responsabilité du seul parent qui l’hébergeait au moment des faits litigieux.

La conception actuelle de la Cour de cassation de la cohabitation fait peser sur le parent qui s’occupe le plus de l’enfant, une charge exclusive de la responsabilité civile des dommages qu’il cause.

Ce positionnement de la Cour de cassation peut susciter un sentiment d’injustice de la part des parents et particulièrement par les mères chez lesquelles est le plus souvent fixée la résidence habituelle de l’enfant.

Celles-ci peuvent ne pas comprendre que les droits liés à l’autorité parentale conjointe ne soient pas contrebalancés par le devoir y afférent celui de la responsabilité civile conjointe.

Toutefois, maintenir la jurisprudence actuelle permet d’identifier aisément le parent responsable.

Néanmoins, elle présente des inconvénients dès lors qu’elle induit nécessairement une fixation judiciaire de la résidence de l’enfant.

Elle pénalise aussi les victimes en les privant d’un coresponsable et par voie de conséquence, la garantie de leur indemnisation, bafouant ainsi le principe de la réparation intégrale.

Une partie de la doctrine contemporaine insiste sur la fonction préventive de la responsabilité civile qui, par la certitude d’être condamnée à réparer les conséquences de ses actes, incite à prévenir la réalisation des dommages.

Aux termes de son rapport, le Parquet général est favorable à ce revirement de jurisprudence. Il propose d’admettre que lorsque l’autorité parentale est exercée conjointement, les deux parents sont solidairement responsables des faits dommageables causés par leurs enfants mineurs, dès lors que la résidence du mineur est fixée chez l’un d’entre eux.

La Cour de cassation rendra sa décision le 28 juin prochain. Si ce revirement était acté, celui-ci bouleverserait les règles actuelles en matière de responsabilité civile et permettrait de mettre en œuvre une réforme qui se fait attendre.

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