Violences intra-familiales : le temps de l'urgence

Me Laetitia Voisin, avocat au Barreau de Thonon-les-Bains, du Léman et du Genevois / L’acte d’oser demander secours, l’acte de juger, l’acte de devenir un parent légitime après avoir été violent : tout cela prend du temps ! Si urgence et justice font rarement bon ménage, les victimes d’un foyer qui dysfonctionne souffrent de chaque minute qui passe : des mesures d’urgence existent.

La plainte

C’est l’acte le plus rapide pour se protéger mais à la diligence du procureur.

En 2022, 25 % des femmes et 3 % des hommes victimes de violence osaient porter plainte. Pourtant, l’intervention des services de police ou de gendarmerie, alertés par une plainte des victimes ou de leur entourage, permet la prise en charge la plus rapide d’un foyer « en feu ». Le procureur peut placer l’auteur présumé en détention provisoire ou sous contrôle judiciaire, avec interdiction d’entrer en contact avec son conjoint et les enfants du couple, mais aussi prévoir la prise en charge financière des charges courantes. Il peut proposer à la victime un téléphone grand danger ou un autre système de prévention des risques. La loi du 18 mars 2024 permet même, avant tout jugement, de prononcer une suspension de l’autorité parentale et des droits de visite du parent violent. Le dépôt de plainte est donc un acte important.

Parfois, la plainte est permise par l’intervention des forces de l’ordre sur le lieu et au temps des violences. Dans les autres cas, la décision de se rendre au poste de police pour porter plainte est difficile à prendre et une fois sur place, la victime peut se sentir mal comprise. Les avocats peuvent accompagner ce dépôt de plainte. Ils l’assistent dans cette épreuve et dans la relecture du procès-verbal dont les termes ont une grande importance.

L’action du procureur permet donc une mise en sécurité des victimes et la gestion provisoire des relations familiales y compris financières. Cette action est néanmoins tributaire de la possibilité de prouver les violences, de la prise en charge bienveillante des plaintes et de la reconnaissance d’une dangerosité du conjoint violent.
Dans les autres cas, l’annonce et le temps de la séparation demeurent un temps d’insécurité.

L’action devant le juge aux affaires familiales

Il s’agit d’un acte spécifique à la gestion des crises familiales mais qui prend son temps.

Actuellement, pour les couples mariés ou non, le temps entre la saisine du juge aux affaires familiales (JAF) et une décision s’élève à au moins huit mois. Durant ce temps, la situation de la famille, séparée ou non, est gérée par les conjoints que ce soit pour leur quotidien d’adultes ou pour le bien-être des enfants. Dans une situation de violence, un tel délai n’est pas possible.
L’avocat peut saisir le JAF pour obtenir une audience plus rapprochée dite « à bref délai ». Le délai est décidé de manière discrétionnaire par le juge en fonction des éléments mis en exergue. Généralement, une décision intervient en six semaines.

Dans le cas de graves tensions, l’avocat peut même solliciter une audience « à heure indiquée », c’est-à-dire quasiment du jour au lendemain. Ces démarches nécessitent la constitution d’un dossier documenté sur les raisons de l’urgence. Dans ce contexte, le JAF n’a pas le pouvoir d’ordonner des mesures spécifiques à la sécurité comme l’interdiction de contact.
Ainsi, ces procédures urgentes centrées sur les modalités de séparation sont souvent suffisantes à l’apaisement mais ne permettent pas de dispositif de sécurité pour les victimes de violences.

L’ordonnance de protection

C’est un acte puissant à l’initiative de la victime pour se protéger et /ou protéger les enfants en six jours.

Cette procédure est prévue à l’article 515-9 du Code civil : « Lorsque les violences exercées au sein du couple, y compris lorsqu’il n’y a pas de cohabitation, ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin, y compris lorsqu’il n’y a jamais eu de cohabitation, mettent en danger la personne qui en est victime, un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence à cette dernière une ordonnance de protection. »

La demande émane de la victime uniquement et aucun juge ne peut l’ordonner de son propre chef. La demande est portée devant le JAF qui, cette fois, aura une double casquette : ordonner des mesures civiles concernant les modalités de séparation (pension, attribution du logement) et des interdictions similaires à un contrôle judiciaire (interdiction de contact, de paraître au domicile). La victime peut être autorisée à ne pas donner sa nouvelle adresse, même si elle y réside avec les enfants ou obtenir un bracelet anti-rapprochement.
Le dépôt de plainte n’est pas un préalable obligatoire et la demande peut se fonder sur des éléments médicaux, des témoignages et autres types de preuves.

L’important est de démontrer la vraisemblance des violences alléguées et « le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ». La notion est donc plus large que celle de danger avéré.

Une fois la requête déposée au greffe du tribunal, une date d’audience est donnée. Le demandeur doit en aviser son adversaire dans les 48 heures et communiquer les pièces du dossier.
Le procureur est avisé de la demande et formule un avis sur sa recevabilité, ce qui permet de l’alerter sur la situation de la famille et de faire le point sur les éventuelles plaintes et signalements précédents.

Une audience se tient en présence des parties qui peuvent être entendues séparément si besoin.

Entre le dépôt de la requête initiale et la décision finale : maximum 6 jours ! La décision est valable six mois mais peut être prolongée. Si des interdictions sont prononcées, la personne est immédiatement inscrite au fichier des personnes recherchées aux fins d’assurer l’effectivité des mesures.

Cette procédure donne connaissance à son adversaire de nombreuses preuves, y compris de la plainte en cours (si elle existe), avant toute audition devant les services de police ou de gendarmerie. Ce n’est pas toujours la meilleure stratégie. Elle cristallise les positions de chacun dans un conflit judiciaire lui-même violent et doit donc être maniée avec précaution.

Au tribunal judiciaire de Thonon-les-Bains, vingt-cinq demandes d’ordonnance de protection étaient réalisées par an mais une augmentation apparaît en 2024 avec dix-sept demandes déjà formulées dans les cinq premiers mois de l’année.

Et les enfants dans tout cela ?

Les enfants peuvent être victimes directes de violence au sein de leur foyer mais sont aussi reconnus comme co-victimes du fait de leur exposition aux violences conjugales. La présence des enfants est une cause d’aggravation de l’infraction de violences entre adultes. Le procureur peut se saisir de la situation des mineurs, s’ils ne sont pas protégés des violences, notamment en cas d’impossibilité pour le parent victime de sortir de l’emprise du parent violent. Il peut ordonner une mesure de placement provisoire des enfants et la saisine du juge des enfants. Actuellement 27 % des adultes interrogés précisent avoir subi enfant une situation de violence au sein du foyer familial.

Les enregistrements vocaux ou vidéos sur smartphone sont-ils des preuves ?

La démocratisation des smartphones a marqué une nette évolution des violences et de l’emprise d’un conjoint sur l’autre (harcèlement moral, surveillance continue, géolocalisation), mais également dans la possibilité d’en prouver l’existence. Il est possible de donner connaissance des messages écrits ou oraux laissés sur un téléphone portable. Mais certaines actions se heurtent aux droits à l’image ou à la vie privée. C’était le cas des enregistrements vocaux et des vidéos prises à l’insu d’une personne qui étaient jugées « déloyales » et ne pouvaient être pris en compte par les juges. La Cour de cassation a opéré un revirement de position en considérant fin 2023 possible de communiquer ces preuves, si elles sont indispensables à l’exercice des droits du justiciable et qu’elles ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux de la partie adverse.

Conclusion

La mise en place de l’ensemble de ces mesures urgentes est complexe et nécessite un grand courage, si bien qu’il est important que les femmes et hommes victimes puissent obtenir le relais de professionnels expérimentés.

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