L'eau, l'amour et la révolte : entretien avec Wendy Delorme

Échos de la terre

Villa Gillet

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Remèdes scripturaux / Des personnages en résistance, de la révolte, et beaucoup d’amour radical : après sa dystopie Viendra le temps du feu, Wendy Delorme revient avec un nouveau roman puissant, Le chant de la rivière. Elle sera au festival Litterature live 2024 pour échanger autour de son dernier livre mais aussi du monde qui nous entoure.

Wendy Delorme écrit des romans, enseigne à l’université, performe sur scène. Dans cet ordre ?  « Ma raison de vivre c’est l’écriture, donc romancière, ça vient en premier. Enfin quand je dis ma raison de vivre, c’est plutôt l’activité qui donne du sens à ma vie, à tout le reste. »

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Le chant de la rivière narre deux histoires d’amour, à contre-courant des modèles sociaux dominants, vécues à un siècle d’intervalle. C’est aussi l’histoire d’un lieu, dans les alpages à la frontière franco-italienne. Est-ce un roman de terroir revisité, une romance queer, du nature writing ?

Wendy Delorme : Quand je suis dans le processus créatif, je ne me pose pas la question du genre littéraire du tout. Le texte vient tel qu’il doit être. L’enjeu est de lui donner exactement la forme qu’il doit avoir. Les histoires préexistent aux gens qui les écrivent.

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Après, si on me demandait « Qu’est-ce que c’est que ce roman ? », je dirais que c’est une romance pastorale, un thriller et une histoire d’amour queer. Si je m’étais posé la question avant, je n’aurais pas su le dire tout de suite. C’est comme Viendra le temps du feu. Je ne me suis pas dit «  Je vais écrire une dystopie », l’histoire est venue comme elle devait venir.

Dans votre livre, c’est la rivière qui raconte une partie de l’histoire des personnages. Comment fait-on pour faire parler une rivière ?

C’est elle qui est venue me parler, qui m'a soufflé la première phrase du roman, « Je suis liquide, je suis mélodie. On m’a presque oubliée. Mais j’étais autrefois puissante et indomptée. ». Ça m’est venu pendant une résidence d’écriture avec quatre camarades de Lyon. On s’était donné pour objectif d’écrire sur l’histoire de cette maison et de ce cours d’eau disparu, que l’on voyait sur les cartes mais qu’on ne voyait plus sur terre. Ça n'est pas né de nulle part.

Ce premier chapitre était ma partie dans le texte collectif. C'est deux ans après, en résidence d’écriture avec les mêmes camarades que la suite m’est venue. Des fois, un texte met du temps à germer.

Deux ans après cette première résidence, vous repartez en résidence d’écriture dans une autre maison. Aviez-vous dans l’idée de continuer ce premier chapitre ?  

Pas du tout. Quand je suis arrivée dans cette autre résidence d’écriture, j’étais censée écrire une romance contemporaine. J’étais très loin de la montagne, mais le lieu était tellement incroyable que c’est ça qui est venu. 

Tout mon processus est dans le roman : je suis venue pour écrire, mais ce texte-là me fuit, m’échappe, et le lieu où je suis me fait écrire une autre histoire. Quand j'écris, je peux avoir pleins de débuts d’histoires. À un moment donné, il y en a une qui va m’obséder assez pour que je la continue, j’écris de manière obsessionnelle.

Au festival Littérature live vous participerez à une rencontre appelée “Échos de la terre”. Vos premiers romans (Quatrième génération ou Le corps est une chimère par exemple) mettent en scène la ville. Comment ont évolué vos thèmes d'écriture ?

Si on y réfléchit, dans Viendra le temps du feu, la géographie du territoire s’inspire de Lyon. On y rencontre une communauté qui vit en dehors de la ville, près du fleuve, dans la forêt. Le fleuve sépare la ville et la forêt. Je pense que c’est le moment où, d’un point de vue littéraire, je me suis dirigée vers autre chose. Où j'ai quitté la ville.

On se pose la question, lorsqu’on vous lit, du lieu d'où vous nous parlez. Quelle est la grille de lecture du monde que vous nous présentez dans vos romans ? Est-ce celle d’une chercheuse ou plutôt celle d’une artiste ?  

Tous les points de vue sont situés. La norme est faite par une élite, qui a un point de vue situé. Je ne sais pas si l’écriture vient d’une grille de lecture du monde, en tout cas, c'est une manière de restituer un regard. 

On peut sentir le regard que je peux porter en tant que femme ou en tant que minorité sexuelle, en tant que mère, ou en tant que personne éco-anxieuse, en tant qu’enseignante dans mes textes. Mais c’est aussi pour ça que mes thématiques évoluent : je ne suis pas la même personne qu’il y a 20 ans. Entre temps, j'ai fait des enfants. Entre temps, le monde aussi a changé, pour le pire.

Vous écrivez en étant consciente que nos imaginaires sont imprégnés des schémas du système dans lequel on vit. De quelle manière cela influence votre façon de construire vos fictions ? 

L’écriture romanesque, de fiction, n’est pas un processus intentionnel. Tout ce qui est de l’ordre de la création est incarné, porteur des imaginaires propres à chacun. C’est pour ça que c’est important qu’on donne voix à des autrices comme Luz Volckmann, Joyce Rivière, Douce Dibonbo, publiées chez Blast, Noah Truong et Camille Cornu chez Cambourakis. 

Toute une génération porteuse d’imaginaires au-delà des catégories de genre, pas uniquement dans la déconstruction. Le roman Photosynthèses, de Camille Cornu, est une histoire d’amour queer mêlée de réalisme magique. Il ne fait pas que déconstruire le système binaire du genre. Il propose vraiment une langue de l’amour et de l’amitié, c’est très beau et poétique.

Dans la préface des Coeurs insolents d’Ovidie et Audrey Lainé, vous évoquez le fait que votre génération a été témoin de grands changements, davantage en termes de conscientisation que de libération. Écrivez-vous pour prendre conscience et faire prendre conscience, ou pour libérer et vous libérer ?

J’écris parce que sinon je deviens folle (rires). Quelque chose entre la spiritualité et l’hygiène mentale. C’est une pratique quotidienne. Quand le texte rencontre son public, je suis contente. Viendra le temps du feu, je pensais qu’il aurait 200 lecteurs. C’est celui qui a le plus circulé. J’écrivais pour la minorité qui a le vécu de ces personnages-là. Se poser la question de pour qui ou pourquoi j'écris, ça pourrait m'empêcher. 

Comment expliquer que ce soit celui-ci qui ait le plus circulé ?

Peut-être parce qu’il porte des thématiques qui, finalement, parlaient à tout le monde. Et qu’au moment où il est sorti, pleins de gens pouvaient s’identifier à ce qui se passait en termes de restriction des libertés. Et aussi puisque, ce n’était pas intentionnel, mais il est à cheval entre la littérature de l’imaginaire et la littérature générale. Du coup, il y a eu un crossover vers les lecteurs de science-fiction, qui est un public génial.

On a pris l’habitude de vous lire autour de personnages qui se révoltent. Mais dans Le chant de la rivière, vous indiquez vouloir « dire l’amour comme posture radicale en période de crise, globale, planétaire ». Êtes-vous une autrice de l’amour ou de la révolte  ?

De l’amour comme force de révolte. Une des plus belles déclarations qu’on m’a faite — après une rupture -, c’était « Moi je voulais cramer la ville avec toi ». C’est se dire que, main dans la main, on décuple nos forces. Et ça marche aussi pour d’autres types de liens que le lien amoureux. 


5 anecdotes pour mieux connaître Wendy Delorme

  • Bio express : Après Le corps est une chimère (Prix Joseph 2018), ou Viendra le temps du feu (publié en 2021, sorti en poche en 2022), Le chant de la rivière (éditions Cambourakis) est sa neuvième publication.
  • Si chacun de ses livres est profondément différent, on y retrouve des motifs récurrents. « Je m’amuse même à mettre des bouts de phrase d’un livre à l’autre en me disant un peu “Tiens est-ce que quelqu'un va repérer ?”. C’est un peu comme quand on cache une étiquette dans un vêtement. Des petits morceaux de phrases qui passent inaperçus. »
  • Sa matrice d'écriture : « Ma grand-mère m’a appris à jouer avec les syllabes pour former des phrases et je fais toujours ça. Elle m’a fait grandir dans le rythme des mots. Elle m’a fait rentrer dans les arcanes de la construction des phrases. Pour moi la matrice, c’est jouer avec la langue en fait. »
  • Peut-on lire Wendy Delorme ailleurs que dans ses romans ? « Une des préfaces que j’ai adoré faire, c’est celle de la BD Hacker la peau de Jul Maroh et Sabrina Calvo (éditions Le Lombard), qui parle du Rhône, de la Saône et de l’endroit où ils se rejoignent. Ça parle aussi d’amour et de révolution, des affrontements entre les groupuscules d’extrême droite et les anarchistes queer de Lyon. »
  • Après Le chant de la rivière, quelle nouvelle obsession explore-t-elle par l’écriture ?  « J’écris sur la Rize en ce moment. Dans le roman que je suis en train d’écrire, un paysagiste à la retraite et un gamin sont obsédés par retrouver la source de la Rize. Ils passent leur temps à arpenter Miribel Jonage. »

Wendy Delorme au festival Litterature live 2024

  • Dialogue autour des Échos de la terre avec Eleanor Catton, autrice néo-zélandaise figurant parmi les Best of young british novelists de Granta en 2023 et Diane Wilson, écrivaine et militante écologiste originaire de la tribu sioux Mdewakanton, mercredi 22 mai à 19h
  • Atelier d’écriture dimanche 26 mai à 15h
  • Scène poétique avec Nancy Huston, Sereine Berlottier et Victor Malzac, dimanche 26 mai à 20h

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