La revanche du chasseur

La revanche du chasseur

À l'Institut Lumière cette semaine, "La Nuit du chasseur" de Charles Laughton, un classique absolu et indémodable de l'histoire du cinéma, qui n'a pourtant rencontré que peu d'échos en son temps.Christophe Chabert

Plus une émission de cinéma sans sa rubrique box-office. Même la critique est parasitée par des considérations chiffrées, faisant lentement triompher la pensée Marc-Olivier Fogiel et son axiome diabolique : succès=qualité, échec=bouse. Transformation d'une information pour professionnels en loi d'airain s'inscrivant de manière subliminale dans le cerveau de tous, même ceux qui n'ont jamais investi autre chose que le prix de la place dans l'industrie cinématographique. Pourtant, l'Histoire du cinéma est constellée de chefs-d'œuvre rejetés en leur temps, ou plus simplement ignorés pour quelque raison conjoncturelle : pas le moment, pas envie, pas au courant. La Nuit du chasseur est ainsi un cas d'école à méditer sans fin...

Love / Hate

En 1955, l'acteur Charles Laughton passe derrière la caméra pour réaliser le scénario que l'excellent James Agee (critique de films majeur, auteur d'un roman bouleversant, Une mort dans la famille) a tiré d'un polar de Davis Grubb. Il engage Robert Mitchum pour incarner le faux pasteur psychopathe convoitant un magot dissimulé par deux enfants dans une poupée ; l'acteur en fera le personnage le plus iconique de toute sa carrière. Les tatouages «Love» et «Hate» sur chacune de ses mains est une image mythique du cinéma américain, régulièrement citée de Spike Lee (Do the right thing) à Martin Scorsese (Les Nerfs à vif). Pour sa mise en scène, Laughton choisit de déborder de toute part le matériau du film noir qu'il a entre les mains : expressionniste par son noir et blanc très contrasté jouant sur les ombres portées, onirique dans sa capacité à jouer avec les décors pour souligner les terreurs enfantines de ses deux jeunes héros, mythologique grâce à son désir de sublimer les enjeux du script. Ici, le père mort est remplacé par une autre figure paternelle monstrueuse qui révèle derrière ses habits d'homme d'église un ogre moderne tuant la mère (l'image de la femme aux cheveux flottants au fond de l'eau est une autre vision inoubliable) et dévorant métaphoriquement sa progéniture. Entre conte de fée sur la perte de l'innocence et cauchemar du rêve américain renversé (famille, religion et territoire sont tous piétinés dans le film), La Nuit du chasseur a connu un échec retentissant à sa sortie. Aujourd'hui, il est le film préféré de nombreux spectateurs. Et probablement une des œuvres qui résistent le mieux au passage du temps !

La Nuit du chasseur
À l'Institut Lumière du 12 au 18 novembre

à lire aussi

vous serez sans doute intéressé par...

Mardi 31 octobre 2023 Depuis 2011, le festival Micro mondes s’intéresse au théâtre immersif, qui plonge le spectateur dans un rapport unique, au plus près de l’œuvre. C’est (...)
Mardi 5 septembre 2023 Ce n’est pas parce la saison est moins dense que la précédente qu’il n’y a plus d’embarras du choix pour aller au théâtre, loin de là. Voici 10 propositions à ne pas rater dans presque autant de lieux, en plus de celles évoquées dans les pages...
Mardi 21 janvier 2020 « Mes jeunes années (…) / Courent dans les sentiers / Pleins d'oiseaux et de fleurs » chantait Charles Trenet. À ce tableau pastoral, Fabrice Du Welz ajoute sa touche d’intranquillité et de dérangement faisant d’une fuite enfantine une course...
Mardi 4 novembre 2014 C’est un classique et un OVNI, comme peuvent l’être La Nuit du chasseur ou Les Tueurs de la lune de miel, le chef-d’œuvre unique d’un cinéaste dont ce (...)
Mardi 8 avril 2014 Anti-Robert Johnson helvétique et pasteur flippant rincé au plomb fondu, le Reverend Beat-man revient à Lyon avec sa formation originelle de presque trente ans d’âge. Celle par laquelle tout a commencé ou presque : The Monsters. Stéphane Duchêne
Mardi 23 avril 2013 Dès son troisième long-métrage, Jeff Nichols s’inscrit comme un des grands cinéastes américains actuels : à la fois film d’aventures, récit d’apprentissage et conte aux accents mythologiques, "Mud" enchante de sa première à sa dernière...
Mardi 23 avril 2013 Il n’a que 34 ans, une silhouette d’éternel adolescent américain et un entretien avec lui se transforme vite en conversation familière avec un passionné de littérature et de cinéma. Jeff Nichols ressemble à ses films : direct, simple et pourtant...
Vendredi 22 mars 2013 A l'heure où la foi évangélique se répand comme une traînée de poudre, il est sans doute temps de faire connaissance avec un révérend digne de ce nom : le (...)
Mardi 4 décembre 2012 Auréolé de prix dans tous les festivals, de Sundance à Deauville en passant par Cannes, le premier film de Benh Zeitlin raconte, au croisement de la fiction ethnographique et du conte fantastique, une bouleversante histoire d’enfance et de...
Vendredi 13 juillet 2012 Avec "À perdre la raison", Joachim Lafosse risque de trouver une reconnaissance publique que son film précédent, le pourtant excellent "Élève libre", ne laissait pas deviner. Il s’explique ici sur ce désir de devenir un cinéaste populaire sans pour...
Mercredi 20 juin 2012 En l’absence d’annonce du prochain Prix Lumière, repoussée sine die, la programmation du prochain festival Lumière fait figure de poulet sans tête : on ne commentera donc que les plumes et les pattes. Christophe Chabert
Mardi 19 avril 2011 Olivier Babinet et Fred Kihn, réalisateurs de “Robert Mitchum est mort“, nous parlent de la confection de leur si singulier premier long-métrage. Propos recueillis par François Cau

Suivez la guide !

Clubbing, expos, cinéma, humour, théâtre, danse, littérature, fripes, famille… abonne toi pour recevoir une fois par semaine les conseils sorties de la rédac’ !

En poursuivant votre navigation, vous acceptez le dépôt de cookies destinés au fonctionnement du site internet. Plus d'informations sur notre politique de confidentialité. X