Trois Molières pour un Shakespeare

Trois Molières pour un Shakespeare

Retour / Les Molières, édition 2009

Qui a dit que seules les pièces parisiennes étaient susceptibles de remporter un Molière ? Dimanche 26 avril, c'est "Coriolan" qui a raflé tous les honneurs.
La pièce de Shakespeare, mise en scène par Christian Schiaretti, directeur du Théâtre national populaire (TNP) de Villeurbanne a obtenu trois trophées. Le Molière du théâtre public, celui du metteur en scène pour Christian Schiaretti et celui du second rôle pour le comédien Roland Bertin. Retrouvez une critique de "Coriolan" parue dans "Le Petit Bulletin" du 26 novembre 2006 :

Le goût amer de la vengeance
Quand le directeur du TNP, Christian Schiaretti, s'attaque à "Coriolan", son premier Shakespeare, il ne lésine pas sur les moyens. Le résultat, magistral, est à la hauteur de ses ambitions.
Dorotée Aznar"Coriolan" est une pièce étonnante. Shakespeare n'y montre rien de moins que l'échec de la démocratie et dessine le portrait d'un tyran qui n'a rien à envier à une populace grasse et inculte, une «racaille» manipulable à merci et versatile à souhait. Dans un monde où chaque individu est mu par son ambition et ses intérêts personnels, Caius Martius Coriolan, le valeureux guerrier romain et le tyran en puissance est aussi celui qui agit pour le plus grand nombre. Au moment d'accéder à la charge de Consul, le peuple de Rome ne pardonne pourtant pas à l'homme refusant de se soumettre au plus grand nombre, et chasse celui qui a refusé la séduction, la démagogie et les paroles caressantes. Coriolan rejoint alors le camp ennemi, celui des Volsques, où il est accueilli comme un héros, avec la ferme intention de détruire le pays qui l'a rejeté. Sous la pression de sa mère, le carnage s'arrêtera aux portes du Capitole, mais personne n'en sortira indemne. Pour mettre en scène ce texte épique, pas moins de trente comédiens déboulent sur le plateau, se rencontrent et s'affrontent, figurant la lutte entre nations et la lutte des classes.Richesse dépouillée
Si l'on excepte le nombre de comédiens présents sur scène, Christian Schiaretti fait le choix de la sobriété. Un plateau dépouillé (la scène a été entièrement démontée pour faire place à un immense sol en béton), aucun décor, ni de volonté d'une quelconque reconstitution historique ou de peplum bon marché (comme le montre le choix de costumes du XVIIe siècle) ; l'espace est laissé tout entier au texte et aux interprètes. Et puisque l'on ne peut tous les citer, saluons Wladimir Yordanoff dans le rôle-titre, Nada Strancar dans celui de la mère de Coriolan ou Dimitri Rataud, chef des Volsques, qui incarnent magistralement leurs personnages. Sous les yeux d'un spectateur conquis, une relation d'amour et de domination complexe et émouvante se développe entre une mère et son fils et l'ennemi d'hier devient l'allié transi d'admiration qui ne manque pourtant pas de punir ; la mise en scène ne permet pas seulement d'entendre le texte, mais en développe avec une rare intensité les aspects les plus troubles. S'il est un grand texte classique résolument contemporain à voir cette saison, c'est assurément ce "Coriolan" de Schiaretti, si politique et si politiquement incorrect. Et même les légers problèmes acoustiques dus au dispositif scénique n'enlèvent rien à cette incontestable performance.

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