"Mardi, après noël" de Radu Muntean. "Aurora" de Cristi Puiu.CC
Ce vendredi aura été quelque peu décevant, surtout en regard des éclats de la veille. Le Wall Street, Money never sleeps d'Oliver Stone s'est effondré aussi vite que la Bourse de New York lors de la crise mondiale, et ce malgré les performances plutôt amusantes de Michael Douglas et de Josh Brolin, l'un reprenant avec une jouissance manifeste son personnage de Gordon Gecko, l'autre traînant dans son sillage son incarnation de W. Bush dans le précédent Stone, conférant ainsi à son rôle de grand méchant une dimension plutôt troublante. Effondrement aussi du côté d'Hideo Nakata ; le réalisateur du beau Dark Water patauge dans la semoule avec Chatroom, qui enfile comme des perles les clichés réacs sur les ados et internet, avant de les souligner par des truismes visuels dignes d'une médiocre série B (la réalité de Chelsea est filmée avec des teintes ternes, alors que les mondes virtuels vomissent de couleurs criardes). On n'est pas loin du nanar, et on se demande vraiment ce que ce produit commercial impersonnel au possible foutait dans la très exigeante sélection Un certain regard. Un certain regard qu'il faudrait rebaptiser Un regard roumain, puisque pour la deuxième année consécutive sa compétition accueille les deux représentants cannois de ce cinéma passionnant. Radu Muntean, découvert à la Quinzaine des réalisateurs avec l'intéressant Boogie, confirme de la pus belle des manières avec Mardi, après noël. Sur le papier, rien de renversant : Muntean raconte un adultère bourgeois classique, avec mari, femme et maîtresse. À l'écran, c'est autre chose. Deux choses frappent immédiatement : d'abord, la peinture d'une Roumanie prospère, celle des parvenus définitivement dévoués à la société de consommation, s'escrimant sur leur iPhone comme n'importe quel occidental urbain. Ensuite, la montée en puissance du cinéma de Muntean : la caméra à l'épaule et les cadres lointains ont laissé place à un scope magnifique et des plans composés au micromètre dignes d'un Bruno Dumont. En revanche, Muntean conserve comme la plupart de ses homologues roumains un goût pour les plans-séquences étirés sur une bobine, dans lesquels les comédiens doivent exécuter une partition extrêmement précise avec un naturel désarçonnant de vérité. Le film s'ouvre sur deux corps nus après l'amour, moment de félicité fragile, comme un éden précaire qui va ensuite progressivement voler en éclats. La première tient justement à l'obsession consumériste qui, pour le mari, semble pouvoir tout résoudre. Acheter, offrir, payer est une liberté traître : c'est parce qu'il a tout (une femme aimante, une maîtresse jeune, une bonne situation) qu'il va tout perdre et se retrouver dans une position de soumission complète. Comme le génial Policier, adjectif, Mardi, après noël arrive à une sorte de plénitude dans l'observation des détails justes, avec cette façon unique de faire vivre les séquences quotidiennes dans toute leur dimension spectaculaire. Un grand film, peut-être le meilleur qu'on ait vu depuis le début du festival. Du coup, on s'attendait à une apothéose en se rendant à la projection d'Aurora. Pour deux raisons : il s'agit du deuxième film de Cristi Puiu, qui avait lancé la nouvelle vague roumaine avec l'excellent La Mort de Dante Lazarescu ; et la durée du film (3 heures !) laissait présager une ambition nouvelle qui donnerait à l'obsession roumaine pour le temps réel son format naturel. Hélas ! Ce fût une grosse déception... Puiu entame dès les premiers plans un pénible bras-de-fer avec le spectateur : non seulement il ne se passe rien (il ne se passe pas grand chose dans Mardi, après noël non plus, après tout...), mais le cinéaste choisit une forme particulièrement ingrate pour suivre l'errance de cet homme dont on ne sait rien, ni passé, ni but, pas même sa situation sociale présente. Pendant une heure, le film n'est que déplacements muets et répétitifs, à pied, en bus, en voiture. Puiu, qui joue ce personnage irritant à force d'être opaque, semble livrer une caricature d'un cinéma roumain qui viserait l'épure, mais toucherait pour la première fois du doigt le vide absolu. Au bout de 90 minutes, il arrive enfin quelque chose : un double meurtre dans un parking à coups de fusil. Mais Puiu le filme de loin, et n'en tire guère de conséquences dramatiques. On comprend alors que nous sommes face à un film prototype façon Jeanne Dielman, mais sans la rigueur esthétique d'Ackerman. La dernière heure est certes plus passionnante ; enfin, les scènes révèlent une véritable tension, les choses se clarifient, même si c'est pour mieux se brouiller en fin de compte. Surtout l'humour fait (trop) tardivement son apparition dans cette œuvre glacée par son excès de sérieux auteurisant. Aurora tourne longuement en rond dans son concept, et les spectateurs qui auront tenu jusqu'au bout (peu nombreux, mais nous en étions !) ne seront pas forcément récompensés de leur endurance...