Si l'on peut dire que certains films sont “nécessaires“, le documentaire de Charles Ferguson sur les origines, le déroulement et les conséquences de la crise financière de 2008 est indispensable. François Cau
“Inside job“, c'est l'expression privilégiée de tous les partisans de la théorie du complot relative au 11 septembre, pour suggérer que l'attentat a été ourdi par le gouvernement américain lui-même. En se réappropriant astucieusement le terme, Charles Ferguson se place d'emblée comme une alternative aux documentaires “engagés“ de Michael Moore. Pas de mise en avant du réalisateur ou de son fameux narrateur (Matt Damon) ; aucun gag forcé, si l'humour naît, c'est de façon essentiellement nerveuse, en réaction à la couardise pathétique ou à l'arrogance hallucinante des intervenants ; aucune ellipse bien commode pour appuyer le propos ; aucune orientation partisane – le système que nous décrit Ferguson a certes une origine Républicaine, mais a été reconduit sans aucune vergogne par les Démocrates, aujourd'hui plus que jamais. Dans sa narration, extrêmement rigoureuse, rien n'est fait pour appâter le chaland : la première demi-heure du film, explication franchement austère de la mécanique à l'œuvre derrière les subprimes, nous fait même un temps redouter le cours magistral d'économie. Mais une fois passée cette inévitable entrée en matière, Ferguson attaque le sujet de front. Et nous enfonce de plus en plus loin dans le cynisme du système financier contemporain, son irresponsabilité, sa criminalité patente et surtout impunie.
Le film d'horreur du siècle
Patiemment, méthodiquement, "Inside Job" aligne des faits tous plus aberrants les uns que les autres, certains connus de tous, d'autres plus ou moins habilement dissimulés, ou pas si fantasmés qu'on l'espérait. Charles Ferguson sait qu'il n'a nullement besoin d'artifices cinématographiques. Son film est la retranscription admirablement synthétique d'une enquête complexe, qui ne dessine ni plus ni moins que la cartographie politico-financière de toute la planète. Même lorsqu'il se livre à un aparté pour décrire les mœurs (l'avidité matérialiste, le sinistrement classique cocktail “putes et coke“) des inconscients décidant du sort de millions de personnes, les témoignages implacables illustrant ces exemples enfoncent le clou de ces errements drapés derrière «l'idéologie de la dérégulation», destructeurs à une échelle collective inégalée. "Inside Job" n'est ni un brulot, ni un pamphlet. S'il suscite la colère, c'est surtout parce qu'il montre les responsables du plus grand chaos socio-économique de l'Histoire pour ce qu'ils sont : des minables, bredouillant des réponses rhétoriques ineptes quand on les met face à leurs responsabilités, et que personne n'a réellement osé remettre à leur place. Terrifiant.