Deux expositions à Lyon permettent de redécouvrir l'œuvre névrosée et critique du célèbre peintre de la Figuration narrative Jacques Monory...Jean-Emmanuel Denave
Le moi chez Freud a du grain à moudre, lui qui doit concilier tout à la fois les exigences du Ça et ses pulsions, du Sur-moi et ses exigences morales, de la réalité et ses principes sociétaux. L'analogie est osée, mais les toiles de Jacques Monory ressemblent un peu au Moi freudien : à la croisée des pulsions sexuelles et des pulsions de mort, du réalisme violent, et de cadrages «sévères». Le Moi de Monory (le peintre se met d'ailleurs souvent en scène) est aussi névrosé et vibre de tous les malaises de notre civilisation. Dans ses toiles monochromes (bleu, jaune ou rose), le meurtre est partout, les images de la société de consommation agressives, l'érotisme sadien ou de pacotille, les rues solitaires et angoissantes. L'artiste, marqué depuis son enfance par le cinéma, opte souvent pour des grands formats et peint à partir de photographies projetées sur ses toiles. Les plus connues sont bleues : «Ni le bleu du ciel ni le bleu de la mer, mais celui de la télé noir et blanc ! Quand on la photographie, elle est bleue», précise Monory, avant d'ajouter ironique : «Le bleu c'est lointain, c'est la rêverie, c'est romantique !». Un romantisme pour le moins glacé.
J'âme, tu âmes, il âme
La galerie de l'IUFM présente une dizaine de grandes toiles historiques dont une toile assez récente à dominante... noire. Une rareté chez l'artiste, mais emblématique de son univers. On y compte une femme en tenue sado-maso, un couple s'embrassant, une voiture accidentée, de longues files d'automobiles phares allumés dans la nuit d'un périphérique. Soit un choc d'images, un choc d'ambiances hétérogènes, un choc entre la sphère publique et la sphère intime. L'amour la mort mêlées, sur fond de doute et d'effroi. Les peintures de Monory ont cette capacité à créer des effractions visuelles, des césures rythmiques et sensorielles, des condensations d'opposés... On verra aussi à l'IUFM un bel hommage au peintre américain Edward Hopper, génie de la représentation des villes et de la solitude... À la galerie Pallade, Jacques Monory présente des tableaux de plus petit format et composés plus récemment (de 2006 à 2001), avec un accrochage sous forme de longue pellicule cinématographique. Le trait est moins sûr que par le passé mais le Moi de l'artiste toujours aussi divisé et, métaphysiquement, inquiet.