Regarder les 120 toiles lumineuses de la rétrospective Jacques Truphémus au Plateau est un bonheur simple. Et comme tous les bonheurs simples au long cours, celui-ci cache quelques étrangetés, inquiétudes, fragilités insoupçonnées.Jean-Emmanuel Denave
Parmi un grand nombre de paysages des Cévennes, nous découvrons tout à coup deux étranges personnages fantomatiques, assis à une table sous une tonnelle composée de coulures de peinture... On dirait un Marc Desgrandchamps ou un tableau de l'un de ces nombreux jeunes peintres contemporains explorant les frontières ambiguës entre présence et absence, figuration et défiguration, image et délitement. La toile est en réalité signée Jacques Truphémus, en 2007 à l'âge de 85 ans. Cette Sieste sous la tonnelle est un petit chef-d'œuvre récent, comme, sans crier gare, a pu en composer quelques autres l'artiste lyonnais de 1951 à 2011. Un artiste discret, au long cours, dont Balthus a fait les louanges et dont la célèbre galerie Claude Bernard à Paris défend le travail.
«Je crois qu'il faut toujours se laisser aller à ses émotions et à ses sensations. Aujourd'hui, à quatre-vingts ans, je me sens beaucoup plus libre qu'à vingt ans», nous confiait le peintre lors d'un entretien en 2006. La rétrospective en 120 toiles de la Région fait d'ailleurs la part belle aux compositions récentes de Truphémus qui y libère les couleurs (des bleus, des verts, des rouges qui contrastent avec les dégradés pâles ses œuvres antérieures), repense autrement son obsession pour la lumière, lâche encore un peu plus son trait embrouillé, accentue l'anonymat blafard de ses personnages...
L'ancien et le moderne
La fusion des plans, la peinture faite trouble léger, charme envoûtante, brume d'émotions renvoie spontanément à l'œuvre de Pierre Bonnard. Mais Jacques Truphémus de préciser : «Oui, il a beaucoup compté, mais peut-être moins finalement que Picasso par exemple. Picasso continue de me fasciner. Quand je me rends au musée Picasso, je ressors toujours en me disant que la peinture c'est magnifique, ça me donne une pêche et un bonheur incroyables ! Bonnard, je crois, est un peintre viscéralement heureux avec un grand appétit de vivre (même s'il faudrait nuancer cela). Je suis très différent et plutôt porté vers des peintres plus inquiets comme Giacometti par exemple».
Derrière la simplicité et la douceur, l'univers de Truphémus est inquiet, intranquille, fragile. La matière ou les éléments menacent sans cesse d'engloutir ou de faire disparaître figures, paysages, architectures, fruits, intérieurs... Il y a chez l'artiste des enjeux modernes traités, au fond, avec une approche et des techniques plus «traditionnelles» : «Voir est une chose. Avec un crayon ou un pinceau, on voit mille fois plus. Le processus de création est une course, qui dure toute sa vie, vers quelque chose d'indéterminé, une tension qui vous porte vers un absolu inatteignable».
Jacques Truphémus, "Les Trois Lumières 1951-2011"
Au Plateau, Hôtel de Région
Jusqu'au samedi 23 juin