C'est une œuvre monumentale, ces films dont on dit, avec une nostalgie un peu rance "qu'on n'en fait plus" et dont même les continuateurs déclarés ont perdu la formule (Jean-Jacques Annaud et son Or noir en ont fait les frais l'an dernier). Pourtant, quelque chose dans Lawrence d'Arabie résiste à l'embaumement et au musée. Son image la plus célèbre montre le lieutenant anglais Lawrence (qui a réellement existé, figure militaire de la Première Guerre mondiale devenue figure littéraire sous le nom de T. E. Lawrence) contemplant une allumette en gros plan ; au moment où elle s'éteint, une ellipse aussi fulgurante que celle de l'os et du vaisseau dans 2001 raccorde en fondu enchaîné avec le soleil levant sur un désert. Infiniment petit, infiniment grand, intime et spectacle : c'est le génie de David Lean, qui n'est pas seulement un immense cinéaste classique, mais aussi un fabuleux raconteur d'histoires en images. Il y a dans Lawrence d'Arabie un des plans les plus exceptionnels du cinéma : lors de la charge contre l'occupant turc, Lean réunit plusieurs centaines de figurants pour filmer l'assaut contre cette ville côtière imprenable car entourée de canons prêts à couler les bateaux anglais. Lawrence a tenté l'impossible : attaquer non par la mer mais par le désert long, aride et éprouvant. Va-t-on voir la bataille ? Non. Lean se contente d'un long travelling filmant l'entrée des cavaliers dans la ville en hauteur et de très loin, qui s'achève sur le gros plan d'un canon tourné dans le mauvais sens. Mobiliser les moyens d'une fresque pour les réduire à un simple détail suggérant l'issue victorieuse : le culot de Lean fait écho à celui de son personnage, ambitieux mais surtout intelligent et pragmatique.
Christophe Chabert
Lawrence d'Arabie
De David Lean (1962, Ang, 3h42) avec Peter O'Toole, Alec Guiness...
À l'Institut Lumière, samedi 8 et dimanche 9 septembre.