Le Réverbère ouvre ses cimaises à deux photographes, Arièle Bonzon et Yves Rozet qui, chacun à leur manière, mettent en doute les images, défient ou dé-fixent leurs certitudes.Jean-Emmanuel Denave
Dans une galerie consacrée à l'image fixe, il est parfois amusant de constater combien celle-ci semble y flotter. Formats, couleurs ou noir et blanc, points de vue, grain : les photographies présentées par Arièle Bonzon et Yves Rozet jouent ici de leurs propres hésitations, indéterminations, variations... Chaque œuvre à sa façon. Chez Yves Rozet à partir de repérages et de pré-compositions précis qui aboutissent à des polyptiques fluctuant entre fiction et réalité, conspirant «à nous égarer, à perdre notre regard, à éclater nos repères spatio-temporels en créant des fictions suspendues, des prétextes d'histoires à inventer, des sources de songerie». Arièle Bonzon photographie elle au fil de ses rencontres visuelles et de ses émotions et constate que «la photographie, ce que je vois du monde et le monde lui-même ont ceci en commun, [c'est] l'incertitude et ses nombreux états». C'est un enfant assis et un peu flou, photographié par Arièle Bonzon, qui ouvre l'exposition, à cet âge des possibles où le destin n'est pas encore "fixé". Puis, l'artiste nous entraîne dans une variation continue de représentations : un même arbre en fleurs dans deux formats différents, une forêt en noir et blanc puis en couleurs, un paysage industriel vu devant et derrière un pare-brise embué...
Attention flottante
Yves Rozet présente, quant à lui, le troisième volet de sa série Figures déliées sur un fond sans fond, se référant au «labyrinthe composé de trajectoires complexes lorsque l'on se promène parmi les multiples fragments de réel, vestiges d'une mémoire, témoignages d'une culture, strates de temps divers». Ses polyptiques (composés de deux, trois ou quatre images) sont d'autant plus énigmatiques et poétiques qu'ils associent des présences humaines à des fragments d'architecture intérieure. Une femme allongée et yeux clos associée à un simple rideau un peu flou suffisent à semer le trouble. Le lieu et le corps résonnent ici non pas pour mieux en dévoiler l'intériorité mais pour en ouvrir "plus grand" les aspects énigmatiques. Yves Rozet et Arièle Bonzon rejoignent en définitive dans cette exposition une idée de Walter Benjamin développée dès 1931 dans sa Petite histoire de la photographie : «la nature qui parle à l'appareil photographique est autre que celle qui parle à l'œil – autre, avant tout, en ce qu'à un espace consciemment travaillé par l'homme se substitue un espace élaboré de manière inconsciente... [La photographie] nous renseigne sur cet inconscient visuel, comme la psychanalyse nous renseigne sur l'inconscient pulsionnel».
"Incertitudes", Arièle Bonzon
"Figures déliées sur un fond sans fond", Yves Rozet
au Réverbère, jusqu'au samedi 27 avril