En offrant sa carte blanche à Nicolas Boukhrief, Hallucinations Collectives renoue avec ses origines cinéphiles pour trois films sans concessions, dont le démentiel "Convoi de la peur" de William Friedkin.Jérôme Dittmar
Figure de la génération Starfix, Nicolas Boukhrief a été biberonné comme ses frères à un cinéma bis et surtout radical. En lui donnant les mains libres pour une brève mais intense programmation, Hallucinations Collectives a trouvé là l'occasion de montrer deux films monstrueux dans tous les sens du terme.
Deux car on glissera volontiers sur Le Dernier monde cannibale, version soft et à peine moins crapoteuse de Cannibal holocaust du même Ruggero Deodato. Si le film représente un bon exemple de cinéma nihiliste et provocateur, pile dans ces 70's désabusées où l'homme cherche au-delà de son hyper civilisation industrielle l'excitation porno de la sauvagerie pure, il demeure trop putassier pour être honnête.
Il n'est surtout pas aussi fort que Possession d'Andrzej Zulawski, second titre choisi par Boukhrief. Mythique, longtemps interdit, ce film choc transforme l'hystérie chère au cinéaste polonais en un chantier baroque et névrosé hallucinant. Entremêlant le récit d'un couple en crise à une vision absolutiste de l'aliénation communiste et son contraire, Zulawski compose un chef-d'œuvre insituable, à la mise en scène chaotique, violente, sans repères ni zone de confort. A la fois film d'horreur, avec sa créature monstrueuse, et film d'époque (errant autour du mur de Berlin), Possession pousse tout très loin, y compris ses acteurs (Adjani en transe), pour une vision ultime du mal totalitaire.
Désillusions collectives
Pièce maîtresse de cette sélection, Le Convoi de la peur emmène lui aussi dans ses retranchements le mal-être des 70's. Remake par Friedkin du Salaire de la peur de Clouzot, le film est une rareté et le voir en salles est un évènement rendant justice au chef-d'œuvre d'un auteur dressant ici le portrait d'un monde sans issue. Reprenant le fil rouge du film d'origine (un convoi périlleux d'explosifs), Friedkin transfère l'aventure dans une épaisse jungle d'Amérique du Sud. Réunissant trois personnages en fuite venus de différents horizons autour d'un même but (réussir leur mission pour l'argent), il dépeint une réalité absurde, désespérée, où toutes les valeurs se sont effondrées devant l'appât du gain comme refuge illusoire de la liberté.
Film désenchanté, caniculaire, tendu, au réalisme abstrait, Le Convoi de la peur est aussi un monument de mise en scène. Un film dense et maitrisé où l'hostilité permanente de l'espace enferme définitivement ses héros dans un voyage au bout de l'enfer.