Le retour sur les écrans, dans une copie restaurée à pleurer de beauté, du Désert des tartares, film maudit qui marque à la fois le point d'orgue et le point final de la carrière de Valerio Zurlini, tient du miracle autant que du mirage. En 1976, le cinéaste tourne, avec un casting impressionnant (Trintignant, Gassman, Noiret, von Sydow, Terzieff et, dans le premier rôle, un Jacques Perrin éblouissant) cette adaptation hallucinée du roman de Dino Buzzati aux confins de l'Iran, dans une citadelle en ruine au milieu du désert.
Mais le film ne cherche pas l'épique, au contraire : affecté à Bastiano, sur une "frontière morte", un jeune lieutenant y découvre un microcosme militaire figé dans ses cérémoniaux, attendant une guerre qui ne vient pas, se construisant ses légendes et ses chimères pour donner un sens à sa présence et ne pas sombrer dans la folie. L'espace-temps du film tire constamment vers l'abstraction : à quelle époque sommes-nous ? Dans quel pays ? De quelle armée s'agit-il ? La citadelle devient ainsi un théâtre inquiétant d'où personne ne cherche vraiment à partir ; et quand le héros réussit enfin à s'en échapper, un sombre imbroglio bureaucratique l'y renvoie.
Tout se passe comme si Le Désert des tartares opérait une sidérante jonction entre le cinéma de l'errance d'Antonioni et les interrogations métaphysiques d'un Kubrick. Zurlini, aidé par la splendide photo de Luciano Tovoli et la musique, presque abstraite elle aussi, d'Ennio Morricone, réalise ici son film-monde, dont l'ambition est rien moins que saisir l'absurdité d'une existence où l'être cherche à remplir du vide et se heurte à sa propre finitude.
Le Désert des tartares
De Valerio Zurlini (Fr-It-All, 2h22) avec Jacques Perrin, Vittorio Gassman, Max von Sydow...
Au Comoedia et en présence de Jacques Perrin jeudi 20 juin à 19h