Jean-Pierre Duret et Andréa Santana ont braqué leur caméra sur une poignée de travailleurs, retraités, immigrés et familles pauvres du côté de Givors, pour un documentaire qui montre, pour la première fois, la réalité de ces oubliés de la société. Très fort.Christophe Chabert
Cela se passe à quelques kilomètres de chez nous, à Givors. Cela pourrait aussi être n'importe où en France, mais cette proximité-là renforce la puissance de Se battre. En effet, dans l'anonymat médiatique et politique, des gens vivent en dessous du seuil de pauvreté, dans des situations sociales extrêmement précaires, souvent seuls, ne comptant plus que sur la bonne volonté d'une poignée d'associations pour manger, s'habiller, se loger ; pour vivre, tout simplement.
Le documentaire de Jean-Pierre Duret et Andréa Santana paraît au départ aride, sans fard, brut dans son image comme dans sa construction ; c'est qu'aucun discours, aucune distance ne doit venir se placer entre ces oubliés de la société et nous-mêmes. Quand ils racontent les histoires qui les ont conduits à cette misère qui ne s'affiche pas au grand jour, les témoins le font sans révolte et sans revendication ; c'est cette acceptation résignée d'une situation pourtant inacceptable qui fait lentement infuser la colère que l'on éprouve face à la réalité sur l'écran.
Les Invisibles
Il y a cette femme, ancienne chef d'entreprise qui, suite à de mauvais choix, a tout perdu et se retrouve seule avec ses chiens et ses chats ; il y a cette autre femme, dont la principale occupation est d'aller nourrir un ragondin sur les bords du Rhône ; il y a ces cueilleurs de fruits et légumes qui comparent leurs fiches de paye et se réjouissent de gagner 400 euros plutôt que 350 ; ou cette famille de réfugiés qui s'entassent dans un logement insalubre, au mépris de toute règle de sécurité... Et, en face, il y a ceux qui veulent les aider, mais qui ne font qu'avancer à contre-courant. Ils se battent pour ceux qui n'ont plus le courage de le faire, définitivement décrochés du wagon économique, contraints de regarder le monde avec tristesse et impuissance.
Documentaire engagé ? Oui, mais pas assommé par du militantisme. Santana et Duret se contentent d'éclairer ceux qui restent dans l'ombre, pour leur rendre une dignité perdue, parfois même à leurs propres yeux. Et de nous dire, sans titiller notre mauvaise conscience, que l'on ne pourra plus jamais arguer que l'on ne savait pas...
Se battre
De Jean-Pierre Duret et Andréa Santana (Fr, 1h33) documentaire