Que se serait-il passé si Didier Tronchet, plutôt que de sauver ses albums photos de l'incendie qui menaçait de ravager son immeuble, avait écouté les consignes des pompiers et tout laissé en plan ? Rien d'exceptionnel sans doute, et c'est sur ce gouffre initial que se bâtit toute l'ampleur romanesque mais aussi toute la philosophie du Fils du yéti, l'autofiction qu'a publié ledit Tronchet chez Flammarion en 2011 et qu'il adapte aujourd'hui lui-même en BD chez Casterman. Une histoire qui, nos lecteurs dotés d'une mémoire eidétique l'auront deviné en reconnaissant ce détournement de l'introduction de notre critique de La Vie rêvée de Walter Mitty, partage avec le film de Ben Stiller une certaine idée de l'humanisme.
Bien que plus terre-à-terre, Le Fils du yéti pourrait même en être un spin-off délaissant la course de son héros ordinaire contre la marche du progrès pour se concentrer sur sa faim paternelle, ici assouvie au terme (bouleversant) d'une parabole doucement farfelue prenant sa source, de péripéties anodines – un tri de souvenirs, l'enterrement d'une grand-mère, une virée à la campagne avec un neveu – en prises de conscience d'une difficulté à être au monde, dans la plus flippante aventurede Tintin(LeLotus Bleu) et l'album le plus sujet à interprétation des Beatles (Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band).
Ceux qui ne connaissent de cet auteur complet qu'est Tronchet que sa corrosive tendresse pour les pékins moyens en tricot (Jean-Claude Tergal, la famille Poissard), largement documentée par Fluide Glacial – et à laquelle les Deschiens doivent sans doute beaucoup – en seront pour leurs frais.
Didier Tronchet
A la librairie Expérience, jeudi 17 avril
Le Fils du yéti (Casterman)