Superbe documentaire de Michel Gondry où il va à la rencontre du linguiste Noam Chomsky, et transforme leurs échanges en petit laboratoire animé où se dessine un portrait de Chomsky mais aussi un autoportrait touchant de Gondry en candide curieux.Christophe Chabert
D'aucuns aujourd'hui attendent de Noam Chomsky de grandes analyses sur la société médiatique actuelle, tâche à laquelle cet intellectuel engagé et vénéré s'est consacré ces dernières années. Mais ce n'est pas ce Chomsky-là que Michel Gondry est allé rencontrer ; c'est plutôt l'immense linguiste qui a étudié les modes de la communication verbale et non verbale. Et c'est peut-être avant tout un homme aussi simple dans son rapport aux autres qu'extraordinaire dans son parcours.
Il l'interroge donc autant sur ses théories philosophiques que sur sa vie d'adolescent précoce, son rapport à la religion et, dans une dernière partie bouleversante, sur l'amour fusionnel qu'il portait à sa femme disparue. Comme s'il devait au spectateur la même franchise et la même honnêteté que Chomsky a toujours eu envers ses étudiants et ses lecteurs, Gondry exhibe le dispositif avec lequel il a enregistré ses conversations : une petite caméra 16 mm qu'il fait tourner de temps en temps et dont on entend le ronronnement sur la bande-son.
Cette "matière première" — une parole en continu, des images discontinues — est ensuite transformée par le biais du dessin et de l'animation, les mots de Chomsky devenant des propositions visuelles, des associations d'images qui traduisent autant les idées du linguiste que les interprétations qu'en fait le cinéaste candide.
Échange de bons procédés
Au fil des chapitres, on en apprend donc autant sur Noam Chomsky que sur Gondry lui-même. En cela, le film est un acte de transmission, un véritable échange où il s'agit de donner quelque chose de soi à l'autre. Le plus bel exemple reste ce moment où Gondry confesse ses lacunes en anglais ; mais ce qu'il comprend de travers, il le métamorphose en proposition poétique, en imaginaire pur. Chomsky, qui étudie ce qui construit une conscience collective par la communication, reprend la balle au bond et intègre l'idée à sa propre grille d'analyse. Du savant à l'artiste passe alors un même désir d'invention et de création, ludique d'un côté, docte de l'autre.
De même, quand Gondry parle de la croyance de sa copine en l'astrologie, Chomsky ne se moque pas, affirme son refus personnel de toute superstition — religions comprises — mais explique que celles-ci soudent une appartenance à la communauté. On comprend alors que ce qui unit les deux, c'est une même bienveillance, une même curiosité envers le monde, un même humanisme. Belle conclusion d'un très grand petit film.
Conversation animée avec Noam Chomsky
De Michel Gondry (Fr, 1h28) documentaire
Sortie le 30 avril