Pour son retour à la mythologie X-Men, Bryan Singer signe un blockbuster stimulant visuellement, intellectuellement et politiquement, où il se plaît à courber l'espace et le temps, dans sa narration comme dans la chair de ses plans.Christophe Chabert
Un futur dévasté, peuplé de camps et de charniers, où humains et mutants sont ensemble victimes de robots (les Sentinelles) capables d'imiter les éléments et les métaux ; et l'Amérique des années 60, encore traumatisée par la mort de Kennedy et en pleine crise du Vietnam, où Nixon développe sa politique réactionnaire et où les mutants commencent à se structurer en mouvement révolutionnaire. Le défi de ce X-Men : Days of future past, basé sur l'un des plus fameux arcs narratifs du comic book d'origine (signé Chris Claremont et John Byrne en 1981), consiste à replier le futur sur le passé en une seule temporalité fictionnelle, enjambant le présent qui avait été celui de la première trilogie et dont Bryan Singer avait su tirer de stupéfiants blockbusters engagés et personnels, bourrés de sous-textes et développant ses personnages comme autant d'icônes de la culture populaire. Ce nouveau volet, qui marque son retour aux manettes mais aussi en grande forme après les déconvenues Superman et Jack le chasseur de géants, en ajoute une poignée dès son ouverture, impressionnante.
Au milieu d'un décor en ruines, une mutante aide ses camarades à combattre les sentinelles en creusant des brèches spatio-temporelles qui forment autant de trouées visuelles à l'intérieur de l'écran. Ce pouvoir-là sera aussi celui du cinéaste : le scénario — et le personnage d'Ellen Page — l'autorise ainsi à envoyer Wolverine dans le passé pour convaincre Magneto et le Professeur Xavier de s'unir afin d'éviter que Raven, pas encore rebaptisée Mystique, ne commette un attentat qui enclenchera la guerre à venir. Réécrire l'Histoire, figer le temps et l'espace pour faire dévier le cours des événements, tel est donc l'enjeu de ce Days of future past ; enjeu dramatique, mais aussi enjeu politique et surtout esthétique d'un film qui prend des allures de divertissement expérimental et pictural comme George Lucas a pu en rêver à une certaine époque.
Temps X
Tout ici peut donc être altéré, recomposé ou réécrit. La séquence la plus stupéfiante et emblématique est sans aucun doute celle de l'évasion de Magneto. Face à une dizaine de flics réunis dans un espace confiné du Pentagone, le Professeur Xavier use de son pouvoir pour arrêter le temps, tandis que Quicksilver, qui se déplace à la vitesse de la lumière, va reconfigurer intégralement la scène de manière à ce que les balles n'atteignent pas leur cible. Dans un ballet hallucinant où l'idée même de 3D prend un sens radicalement nouveau, on le voit donc se mouvoir à toute vitesse au milieu d'un tableau au ralenti que Singer sublime en un seul plan séquence.
Cette façon de briser les mécanismes de causalité pour créer de nouvelles interactions entre les personnages et leur environnement et tester ainsi la plasticité des images et des corps, le film le reproduit à tous les niveaux de son intrigue. Pour cela, il se désigne un ennemi fictionnel, en la personne d'un homme de science cherchant à inventer une nouvelle arme de protection et de dissuasion à partir de l'ADN des mutants. Celui-ci est incarné par l'acteur nain Peter Dinklage, célèbre pour son rôle dans Game of thrones, mais dont les plus cinéphiles se rappellent qu'il fut l'avocat de Vin Diesel dans Jugez-moi coupable. Corps mutant à sa manière, il n'a pourtant qu'une seule obsession : se mettre au service du pouvoir dominant, en l'occurrence Richard Nixon et son gouvernement. Les X-Men deviennent alors des forces de contestation, et le film noue ainsi un dialogue subtil avec son pendant anar, les Watchmen d'Alan Moore, justiciers virés miliciens pour un État crypto-fasciste.
Revendiquer ou refuser sa différence : le dilemme se pose aussi à Charles Xavier, qui refuse son infirmité au point de devenir accro à une drogue surpuissante, puis à Magneto, qui doit choisir entre l'affirmation de son combat et ses conséquences sur l'avenir des mutants et des humains, mais aussi sur ses sentiments personnels.
Un classique mutant
Si le scénario développe une richesse romanesque à la lisière de la série télé, sa rigueur associée aux inventions permanentes de la mise en scène et à un casting parfait donnent à Days of future past des atours de classique du blockbuster. Le film se sort aussi habilement de quelques mauvais pas hérités de ses dérivés catastrophiques — Wolverine sans ses griffes d'acier à la fin du nullissime Combat de l'immortel, la mort de Xavier dans le minable X-Men 3 — sans pour autant botter en touche. Pour cela, il doit aller au bout de sa logique où le passé modifié et l'avenir incertain trouvent un point de convergence dans le présent des épisodes précédents.
Il y a bien une ambition lucasienne chez Singer : enrichir sans cesse son univers de nouvelles créatures, de nouveaux mondes, le creuser toujours plus avant pour en tirer des formes qui relèvent autant d'une tradition classique — la scène post-générique, qui rappelle certains péplums de DeMille ou Hawks, en est la meilleure preuve — que de ses mutations contemporaines, des équations scénaristiques d'un Nolan aux chairs modifiées par le virtuel de Fincher. Une chose est certaine en tout cas : X-Men : Days of future past rappelle, au moment où on commençait à en douter, qu'un blockbuster peut être à la fois ambitieux, cohérent, stimulant, spectaculaire et personnel.
X-Men : Days of future past
De Bryan Singer (ÉU, 2h03) avec Hugh Jackman, Michael Fassbender, James MacAvoy, Jennifer Lawrence...