Yan Duyvendak : «Un magnifique exercice de lâcher prise»

Yan Duyvendak : «Un magnifique exercice de lâcher prise»
Please, continue (Hamlet)

TNP - Théâtre National Populaire

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Après "Pendiente de Voto" et "Le Sacre du printemps", le metteur en scène catalan Roger Bernat est à l'affiche avec un nouvel OVNI participatif, "Please, continue (Hamlet)". Soit le procès pour meurtre d'un faux Hamlet par de vrais magistrats, devant un public mué en jury populaire. Sera-t-il condamné ou acquitté ? Pour le savoir, nous appelons à la barre le co-créateur de ce passionnant spectacle, l'artiste néerlandais Yan Duyvendak.

Diplômé des Beaux-Arts de Sion et de l'école des arts visuels de Genève, comment en êtes-vous venu à concevoir des performances ?

Yan Duyvendak : En même temps que les Beaux-Arts, j'ai suivi une formation de danse amateur, puis participé à une espèce de revue de très mauvais goût. J'étais ado et j'aimais beaucoup l'humour utilisé comme une force corrosive. Comme j'étais trop grand pour faire de la danse professionnelle – c'était avant Alain Platel et la possibilité d'avoir des corps spécifiques dans la danse – je me suis ensuite tourné vers l'art visuel, dans lequel j'ai fait une petite carrière. Mais je m'y suis très vite ennuyé, je m'y suis senti très seul et c'était mortifère. J'avais envie de réinjecter de l'humour dans le travail. J'ai alors fait des vidéos, chanté a cappella des chansons existantes qui parlent de l'art (comme J'aurais voulu être un artiste), et c'est devenu une réflexion sur l'art aujourd'hui. J'ai pu faire ça très vite à la fondation Cartier, en 1995.

En 2011, vous créez avec Roger Bernat Please, continue (Hamlet), qui relate le procès d'un fait divers où les protagonistes sont les personnages du drame shakespearien. Comment l'avez-vous rencontré et comment est née cette idée ?

J'ai vécu à Barcelone un certain nombre d'années et je voyais le travail de Roger là-bas. Ensuite il a vu le mien. Et comme on travaillait tous les deux sur des relations assez particulières avec le public, j'ai proposé d'avancer ensemble. On a échangé sur ce qui nous troublait dans la société et nous sommes tombés sur les procès verbaux des détenus de Guantanamo, parus sur le web à ce moment-là, en 2010. C'est une farce totale de la justice où les terroristes, enfermés depuis 2001, ne sont plus des hommes. Ils ne parlent pas anglais, ne parlent plus du tout. Et des juges leur disaient – c'est de là que vient le titre du spectacle – «please, continue». On a essayé d'amener ces textes-là sur scène (lus par le public ou des acteurs) et ça ne marchait pas, c'était obscène, bizarre, trop violent. J'ai par la suite eu accès à un dossier d'instruction d'un cas réel. C'est ce qui se cache maintenant sous l'histoire d'Hamlet. Je me disais : «ces gens doivent être acquittés, ils ont agi au maximum de leurs capacités intellectuelles et sociales. On ne peut pas les condamner». Et Roger pensait qu'il fallait les condamner tant ils étaient cons. C'est intéressant de voir comment un sujet peut nous renvoyer à notre propre éthique. Mais là non plus, les lectures de ce vrai rapport d'instruction ne fonctionnaient pas. En désespoir de cause, à trois mois de la première, on a inversé la vapeur, cessé d'amener la réalité dans le théâtre pour amener le théâtre dans la réalité, et on a intégré Hamlet après des discussions avec des personnes du milieu judiciaire. On raconte ici les trois premiers actes, ça s'arrête au moment où Hamlet se fait renvoyer par Claudius à l'étranger. Là, les flics l'arrêtent.

Cette pièce aurait-elle pu fonctionner sans y greffer Shakespeare ?

Roger voulait garder le vrai cas, mais l'avocat ne nous le permettait pas. Et puis les gens de la justice nous ont dit qu'ils n'auraient jamais accepté de participer si ça avait été un cas normal, car ils font déjà ça toute la journée. Mais d'un coup, attaquer ou défendre une figure littéraire devenait intéressant.

Que savent ces personnes du milieu judiciaire avant d'entrer sur scène ?

Ils ont reçu un dossier d'instruction de 50 pages et chaque théâtre (au début, je le faisais moi-même avec mon équipe) s'occupe de convaincre des magistrats de participer. L'équipe est différente chaque soir.

Quelle est votre part de création maintenant que le spectacle a été élaboré ?

Ce sont des directives à l'encontre des magistrats, des avocats : ne pas faire de jeux de mots par rapport à Hamlet (sur le thème «Hamlet a encore cassé des œufs» par exemple), rapeller que ce n'est pas une farce, même s'ils ont tendance à trouver ça rigolo d'être sur scène. Récemment, en Italie, l'avocate d'Ophélie était morte de rire tout le temps. Elle prenait le public à partie. J'ai été obligé de la faire cesser. Et puis, dans chaque pays, avec les différents comédiens, il faut adapter le texte au système juridique et médico-légal local, et faire la reconstitution du crime avec les acteurs trois mois avant la première date pour qu'ensuite Hamlet puisse aller chez un vrai psychiatre, qui le voit selon les normes du pays et rédige une expertise versée au dossier. Ensuite, quand les acteurs sont questionnés, ils répondent à partir de cette expérience de reconstitution. Ça donne un air très bizarre de réalité, car ils se souviennent vraiment de quelque chose. Chaque jour, deux heures avant l'entrée des spectateurs, les avocats rencontrent leur client et moi je reparle avec le président pour valider son angle dramaturgique. Ce qui fait que le metteur en scène de la pièce est toujours le juge, tandis que les directeurs d'acteurs sont les avocats.

Vous devez donc accepter que le spectacle vous échappe constamment ?

Complètement. Et je pense que ça pose problème à Roger. Ça lui a physiquement été désagréable que les gens disent des choses qu'il n'aime pas entendre. Car c'est vrai que c'est un magnifique exercice de lâcher prise.

Vous dites que c'est le spectacle le plus performatif que vous ayez produit. Pourtant, on peut penser que de pures performances sont plus "coup de poing" qu'une reconstitution de procès...

Oui, mais c'est vraiment une task performance, comme dans le mouvement Fluxus, où on reçoit une petite recette et on fait ce qu'on peut. La recette ici, c'est le dossier d'instruction, dont les participants s'emparent comme ils veulent. C'est pour ça que certains procès sont très ennuyeux, d'autres très animés, avec plus ou moins de tensions, des juges fous... J'ai été pendant dix ans co-responsable de l'option art-action de la Haute école du design à Genève. Et on a toujours travaillé sur l'action qui, peu importe sur quoi elle débouche, a une fonction politique. Qu'elle soit vraiment action au sens politique fort ou simplement le fait de déplacer quelque chose qui a l'air normal au sein du fonctionnement social établi, le perturbe et engendre du politique, au sens de "comment est-ce qu'on vit ensemble". Pour moi, à tous les niveaux, l'enjeu est fortement politique. Après que ce soit théâtral ou performatif, ça m'intéresse moins.

Vous montrez aussi certaines failles de la justice, ce qui permet de mieux les accepter...

C'est ça. Et ça m'a étonné aussi que les gens de la justice acceptent de participer à quelque chose qui n'est pas de la propagande pour dire que la justice c'est super. Ils sont conscients que la justice est perfectible. Qu'elle est humaine et donc faillible. Ils vivent avec ça.

Concernant vos contemporains et collègues, est-ce que le travail de Vincent Macaigne par exemple, qui travaille aussi Shakespeare et exhorte le public à venir sur scène, peut faire écho au vôtre ?

J'ai effectivement l'impression qu'on est plusieurs à travailler sur cette question de la rupture du quatrième mur, comme une sorte de génération 2.0. Mais, dans le Hamlet de Vincent Macaigne, il n'y a que le début et la fin qui sont très forts au niveau de l'implication du public. Cela reste quand même très lié au texte.

Vous vous ennuyez au théâtre ?

Non, pas forcément, mais je trouve très fort quand on se sent impliqué dans une pièce, même si on est dans le noir. C'est plutôt rare. Le noir est compliqué, ça crée vraiment une distance. Pour la comédie musicale sur la fin du monde que je vais prochainement créer, je fais déjà face à de gros problèmes par rapport à la lumière. Est-ce qu'on laisse les gens au pas dans le noir ? Car toute la question est un peu là : est-ce que dans la vie on se laisse berner, bercer, ou est-ce qu'on est actif ?

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