Dans la série de commémorations du centenaire de la Première Guerre mondiale, la pièce "Quatorze" de la compagnie Cassandre fait figure d'OVNI. Une relecture des trente-huit jours ayant précédé le conflit intelligente et joyeusement inattendue. Aurélien Martinez
Une pièce sur les débuts de la Première Guerre mondiale ? Honnêtement, sur le papier, on ne partait pas convaincus, ce genre d'aventures demandant aux artistes des bases intellectuelles solides couplées à un véritable sens du théâtre pour ne pas sombrer dans le didactisme ennuyeux. Peu sont capables de tels défis, la référence absolue actuelle étant le collectif D'ores et déjà.
Avec Quatorze, la compagnie lyonnaise Cassandre joue aussi la carte du théâtre historique, en fonçant quant à elle tête la première dans l'humour. Sur scène, six comédiens interprètent une myriade de personnages historiques (des dirigeants en place à l'époque, des généraux, des journalistes, des conseillers de l'ombre...) en conférant à tous un irrésistible grain de folie qui les rend sympathiques, pathétiques, touchants, détestables – voire tout ça à la fois. Il faut voir ce Guillaume II survolté incapable de se concentrer en pleine réunion cruciale, ou encore le tendrement impotent François-Joseph Ier d'Autriche – tellement impotent qu'à un moment donné ses ministres le croient même mort.
38 jours en 2 heures
Si le côté burlesque est la force première du spectacle, force décuplée par la présence magnétique de certains comédiens-bateleurs, il ne peut être convoqué sereinement par le metteur en scène Sébastien Valignat que grâce au texte limpide et précis de Vincent Fouquet (qui est aussi interprète sur le plateau) et à l'impressionnant travail de recherche mené sur plus d'un an avec des historiens (via La Mouche de Saint-Genis Laval, où le spectacle a été crée début novembre). Le public est emmené au cœur des pouvoirs de l'époque, au plus près des décisionnaires qui n'ont pas toujours mesuré l'ampleur du cataclysme qu'ils allaient déclencher en jouant leur politique étrangère au bluff – l'enchaînement des faits pendant les trente-huit jours précédant le conflit est parfaitement expliqué.
Il faut avoir une confiance presque arrogante en son art pour jouer à tel point avec l'histoire et ce fameux « devoir de mémoire » brocardé dès le tableau d'ouverture. Il faut aussi tenir la distance et assumer ce parti pris audacieux jusqu'au bout – deux heures de représentation tout de même. La compagnie Cassandre n'a visiblement pas eu peur, ce qui fait de ce Quatorze une aventure assez folle et pleinement réussie.
Quatorze,
Au Théâtre de Givors vendredi 9 janvier
Au Théâtre Théo Argence le 23 janvier