Avis de destruction au Sonic cette semaine, avec la venue des Canadiens embusqués de Viet Cong, adeptes d'un post-punk piégeux et féroce au possible. C'était pas sa guerre, mais ça va devenir la vôtre.Benjamin Mialot
«This is not 'Nam, there are rules» assène, dans The Big Lebowski, le fanatique du bowling Walter Shoback à un concurrent ayant eu l'outrecuidance de mordre l'allée. Une assertion valable il y a deux numéros de cela, quand débutait la rétrospective Coen à l'Institut Lumière. Car cette semaine, c'est bel et bien le Vietnam, et pas question de jouer selon les règles.
En l'occurrence celles du rock, que le groupe Viet Cong pratique comme d'autres mènent des guérillas : avec une énergie forcenée et un souci permanent d'imprévisibilité. Á sa décharge, il s'est constitué dans le tumulte et les cendres, suite à l'auto-combustion de Women, éphémère (dés)espoir post-punk, survenue en 2010 au terme d'une bagarre entre ses membres en plein concert.
Deux ans plus tard, le décès de l'un d'eux poussera deux des survivants, Matthew Flegel et Michael Wallace, à repartir au front, d'abord avec les moyens du bord – une Cassette bordélique et exaltante comme un premier assaut – puis avec un album éponyme, enregistré dans l'enfer vert recouvert de blanc de leur Ontario natal.
Où sont les femmes ?
Paru au début de l'année, ce disque aussi fascinant que dissuasif s'ouvre sur un grondement, indistincte menace d'où peinent à se faire entendre des clameurs fantomatiques. Elle laisse rapidement la place à une mélodie dont la luminosité et les contours semblent épouser ceux de rizières baignées d'un soleil matinal. Trompeuse accalmie : ce qui suit est un déchaînement de fer et de feu dont nul ne saurait prévoir l'issue – et encore moins sortir indemne.
Là, les guitares frappent à l'oblique et par surprise, tranchant dans les chairs – ventre, gorge, oreilles – telles des machettes surgissant des fourrés (Silhouettes, charge post-punk digne des heures les plus sombres de Bahaus). Ailleurs, la terre tremble au rythme des pilonnages d'artillerie, le sentiment du devoir accompli se traduisant ensuite une prise massive d'amphétamines (March of Progress, qui bascule à mi-chemin d'un drone aux proportions sismiques dans un psychédélisme échevelé). Plus loin, les tunnel rats, ces soldats chargés de nettoyer les galeries souterraines, désamorcent la claustrophobie qui les ronge par une application de tous les instants (Bunker Buster, succession de déflagrations soigneusement espacées et dosées).
Et partout la mort, soudaine ou grelottante (Death, onze minutes de montées et descentes d'adrénalines à la Godspeed You! Black Emperor, où les coups de baguettes et de médiator tombent si fort que, comme la pluie dans Forrest Gump, ils semblent monter du sol), mais toujours annoncée par une voix tour à tour d'une lassitude mortifère et étranglée par la tension (en particulier sur Continental Shelf, où se devinent des restes des intentions pop de Women).
Ce qu'il faudrait aux jeunes d'aujourd'hui, c'est une bonne guerre, se lamentent les vétérans. Un concert de ces quatre-là devrait faire l'affaire.
Viet Cong [+ Baton Rouge]
Au Sonic lundi 1er juin