Les lumineuses abstractions de Geneviève Asse

Les lumineuses abstractions de Geneviève Asse
Dix ans d'acquisitions, dix ans de passions

Musée des Beaux-Arts

ce spectacle n'est pas à l'affiche actuellement

Après son exposition en 2013 au Centre Pompidou, le Musée des Beaux-Arts consacre une très belle petite rétrospective à la trop méconnue Geneviève Asse. Une œuvre très vite abstraite où quelques traits lumineux et pans de couleurs suffisent à nous bouleverser.Jean-Emmanuel Denave

Il y eut d'abord, dans les années 1940, des objets peints (carafes, nappes, verres, bouteilles, vases...) avec l'aigu d'un Bernard Buffet et la palette pâle, parfois, d'un Giogio Morandi. Dans les années 1950, ces objets sont devenus de simples boîtes ou carrés indéterminés avant de se fondre parmi des pans de murs sous forme de quadrilatères de couleurs pâles, vibrant avec l'ensemble de l'atmosphère du tableau. Enfin, sous l'influence de Turner notamment, Geneviève Asse (née en 1923 à Vannes) abandonna toute semblance figurative et tout rapport, même très vague, à l'objet, pour peindre de grands paysages abstraits de lumière et de couleur...

«Mes œuvres : des paysages, des paysages abstraits ? Je dis toujours qu'il n'y a pas de frontière déclarait l'artiste en 1997. Les gens voient des paysages. Moi, parfois, je vois tout autre chose... Cela ne compte pas beaucoup pour moi... C'est de la peinture pour la peinture. Mais je peins entre les choses... L'espace qui est entre une ligne et une autre ligne.»

Dans un documentaire récent de Florence Camarroque, Geneviève Asse dit encore plus clairement : «Je suis dedans et dehors.» Elle qui fréquenta et admira beaucoup Samuel Beckett, souscrirait sans doute à ces mots de l'écrivain : «D'une part le dehors, de l'autre le dedans, ça peut être mince comme une lame, je ne suis ni d'un côté ni de l'autre, je suis au milieu, je suis la cloison, j'ai deux faces et pas d'épaisseur, c'est peut-être ça que je sens, je me sens qui vibre, je suis le tympan, d'un côté c'est le crâne, de l'autre le monde, je ne suis ni de l'un ni de l'autre...»

L'entre-deux

La peinture de Geneviève Asse est une peinture de "l'entre", de la vibration entre les choses, une peinture des fenêtres et des seuils... Une peinture de «l'innommable» aussi (comme le roman de Beckett) et du pré-individuel, du pré-subjectif. Dans ses toiles abstraites, nous sommes en-deçà ou au-delà de la séparation entre sujets et objets, du découpage des choses avec le scalpel conceptuel des mots. Et c'est ce qui nous touche et nous bouleverse dans ces œuvres : l'artiste nous ouvre des espaces vibratoires où tout à nouveau redevient possible, imaginable, en devenir ; les toiles nous rappellent qu'en-deçà de nos identités et subjectivités définies, nous sommes essentiellement rythme, mouvement, ouverture au monde...

Il y a là quelque chose qui rappelle l'enfance, et l'artiste se souvient d'ailleurs de la sienne et des goûters sur des plages en Bretagne «entre le ciel et la mer, c'est là je crois que j'ai trouvé mon bleu». Parmi ce bleu illimité, Geneviève Asse trace parfois une verticale rouge qui fend littéralement le tableau, non pas pour le compartimenter en espaces séparés mais pour l'allumer : «Le bleu est stable, le rouge anime le tableau.» Cette "fente" rouge qui est comme un événement pictural nous rappelle que, si la peinture de l'artiste déconstruit le rapport sujet-objet, elle ne s'en laisse pas moins conter par une pseudo immersion dans un grand tout, par une baignade insipide dans le grand bain des énergies universelles. Tout au contraire, ses toiles sont fendues, "allumées", zébrées d'événements : il y a de l'autre, il y a du temps, du heurt, du problématique.

L'entre-autres

L'accrochage de sa petite rétrospective au Musée des Beaux-Arts fait d'ailleurs intelligemment place à son rapport aux "autres", aux autres peintres cette fois-ci. Le parcours chronologique nous emmène peu à peu dans les salles des collections du XXe siècle du musée et les toiles de Geneviève Asse prennent alors place aux côtés d'œuvres d'artistes qu'elle fréquenta et admira : Nicolas de Staël, Olivier Debré, Bran Van Velde...

On découvrira encore dans l'exposition un grand nombre de dessins. Ils saisissent par l'économie de moyens employés et par cet art fulgurant du trait incisif, créant des ruptures, des rythmes, des esquisses d'architectures oubliées. «J'ai toujours beaucoup dessiné. C'est le dessin qui ménage les silences. Il me semble que c'est par le dessin qu'on atteint l'intériorité.» Une intériorité qui, encore une fois, se traduit chez Geneviève Asse par l'ouverture bien davantage que par la fermeture narcissique d'un sujet sûr de lui-même.

Geneviève Asse
Au Musée des Beaux-Arts, dans le cadre de l'exposition Dix ans d'acquisitions, dix ans de passions, jusqu'au 21 septembre

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