En se racontant à la première personne, Robert Lepage livre avec "887" un spectacle d'une humilité et d'une sincérité désarmantes qui allie sa maitrise de la technologie du plateau à un discours engagé. Critique et parole à l'artiste.
Comment se souvient-on et de quoi ? La technologie nous laisse-t-elle encore le choix ? En prenant pour prétexte, véridique, de devoir apprendre par cœur un texte, Speak White de Michèle Lalonde, pour le quarantième anniversaire de la Nuit de la poésie et son inquiétude de ne pas y arriver, Robert Lepage a décidé de questionner sa mémoire et donc son histoire. Ayant compris que le «le théâtre c'est magique quand il n'y a pas de théâtre au début» (dans un entretien avec Stéphane Bureau paru aux éditions Amerik-média en 2008), il commence par faire, toutes lumières éclairées, les recommandations habituelles (éteindre son téléphone, etc.) puis enchaîne, l'air de rien, en nous racontant comment il s'aide d'un moyen mnémotechnique, le "palais de la mémoire".
Le sien est le 887 rue Murray, l'immeuble où il a grandi à Québec, à peine plus haut que lui-même. En décrivant toutes les cases de cette maison de poupée – y compris les appartements de ses voisins – il dresse un portrait sensible autant que sociologique de sa ville et, surtout, met à nu sa famille, son père notamment, chauffeur de taxi qui ne sait quasiment ni lire ni écrire mais parle anglais depuis la guerre.
Bang bang
Robert Lepage a toujours mêlé la petite histoire à la grande (à travers les figures de Buzz Aldrin, Jean Cocteau et Miles Davis, ou dans l'inégalable Projet Andersen). En se prenant pour sujet, il se permet d'être plus tranchant, fustigeant notamment un théâtre de la «diction et du phrasé» et la politique libérale qui a conduit à l'augmentation des frais d'accès à des conservatoires qui, désormais, ne donneraient plus sa chance au gosse qu'il fut.
Si 887 est un exposé de deux heures sur l'histoire très détaillée de son pays et de sa province, l'artiste n'en oublie jamais sa capacité virtuose à créer des espaces scénographiques, transformant son récit en un véritable spectacle, fait de choses simples magnifiées. Notamment dans la scène de la visite de De Gaulle : avec des soldats de plomb, une figurine du président et un téléphone portable en mode caméra, il recrée une épopée en mouvement.
Après 35 ans d'une carrière internationale, Lepage se risque, comme un débutant, à être de nouveau seul en scène pour «épater la galerie» dit-il avec enjouement. Et parce que, ainsi que le dit le poème qui lui sert de trame, «nous savons que nous ne sommes pas seuls» – une phrase qui, rétrospectivement, sonna étrangement ce vendredi 13 novembre de première à 22h. À l'instar de ce sublime Bang Bang de Nancy Sinatra, deux fois au générique de cette belle création.
887
Aux Célestins jusqu'au samedi 21 novembre