Jean-Marie Leclair : la grandeur du style

Jean-Marie Leclair : la grandeur du style

Opéra / Combien d'étudiants de Sciences Po Lyon, avenue Berthelot, connaissent ce Leclair qui a donné son nom à leur amphithéâtre ? Combien de passants curieux se sont arrêtés sur la plaque apposée à l'arrière de l'église St-Nizier lui rendant hommage ? Peu, sans doute. Voici son histoire.

L'histoire de la mort des compositeurs ne manque pas de mystères. De ceux, plus ou moins farfelus, qui entourent le décès de Mozart à la raison véritable de la mort de Tchaïkovski (choléra ? suicide forcé pour fait d'homosexualité ?), ces énigmes historiques laissent une grande place à l'imagination et la mort de Jean-Marie Leclair ne déroge pas à la règle.

C'est au matin de ce 23 octobre que le corps du compositeur est découvert par son jardinier. Les rapports de police précisent qu'il a été frappé trois fois au moyen d'un instrument pointu. L'enquête soupçonnera successivement le jardinier, un des neveux du compositeur, mais aucun élément ne permettra de déterminer l'identité du coupable, laissant là une affaire musico-criminelle non résolue.

Gérard Gefen y consacra un livre en 1990 : L'assassinat de Jean-Marie Leclair. Plus récemment, c'est le claveciniste et chef d'orchestre Sébastien d'Hérin qui s'impose comme défenseur de la mémoire et de la musique du compositeur lyonnais.

Ce spécialiste de la musique baroque nous a conté sa rencontre avec l'univers de Leclair. Comme claveciniste, il a très souvent accompagné des violonistes qui jouaient ses sonates. Pour lui, « la musique de Leclair est un condensé entre une écriture à l'Italienne et les canons de la tragédie lyrique, une synthèse des influences mélodiques italiennes et de la forme française. » Il ne faut pas sous-estimer cette capacité qu'a eu Leclair de fusionner deux styles à une époque où la rivalité entre les partisans du style français et du style italien était féroce. Les critiques acerbes de Jean-Jacques Rousseau sur le style français et son opposition farouche au compositeur Jean-Philippe Rameau sont célèbres. C'est bien l'auteur de La Nouvelle Héloïse qui a écrit : « les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir. »

La première de Scylla et Glaucus

Jean-Marie Leclair est né à Lyon le 10 mai 1697. Il est l'aîné d'une fratrie de huit frères et sœurs. Initié au violon et à la danse par son père, il délaisse peu à peu la carrière de passementier pour se consacrer à une carrière artistique. En 1722, il devient premier danseur et maître de ballet à l'Opéra de Turin, poste qu'il ne conserve pas et dès 1723 on le retrouve à Paris où il édite son premier livre de sonates pour violon. Pour autant, les aller-retour entre Paris et Turin sont fréquents et en 1726, alors qu'il poursuit sa formation auprès du grand violoniste Somis, ce dernier encourage Jean-Marie Leclair à poursuivre sa carrière instrumentale.

Dès 1728 on peut l'entendre au Concert Spirituel et en 1734 il entre au service du roi Louis XV à qui il dédie son troisième volume de sonates. On peut s'arrêter quelques secondes sur ce passage de sa vie qui éclaire un peu le personnage. Il entre au service de la musique royale en même temps que Jean-Pierre Guignon, un autre violoniste originaire de Turin, également élève de Somis. Tous les deux devaient alterner sur les postes de premier et deuxième violon. La légende veut que notre lyonnais était assez caractériel, et qu'il n'appréciait guère de jouer les seconds violons. Si bien qu'en 1736, il démissionne de son poste. Sa carrière se poursuit dans la composition, dont une cantate perdue, des concertos, un nouveau livre de sonates. Il voyage beaucoup, en 1741 on le retrouve à Amsterdam auprès de Locatelli, un autre virtuose du violon auprès duquel il perfectionne sa technique et en 1743 il est à Chambéry, à la Cour de l'Infant Don Philippe.

Le 4 octobre 1746 a lieu à l'Académie royale de Musique la première de Scylla et Glaucus, unique ouvrage lyrique du compositeur. À l'époque et surtout en France, écrire un opéra était une étape incontournable pour quelqu'un qui voulait se forger une réputation de musicien complet, la musique instrumentale étant considérée comme mineure par rapport à l'opéra.

Par la suite il compose plusieurs divertissements pour son mécène le Duc de Gramont mais le caractère difficile de Leclair, voire sa misanthropie, poussent le compositeur à s'isoler. En 1758, il décide même de ne plus partager le domicile conjugal avec sa seconde femme et il part vivre dans un logement des plus modestes rue de Carême-Prenant à Paris jusqu'au 23 octobre 1764, date de sa mort.

Lyon ne l'a pas oublié

L'histoire a retenu Rameau comme compositeur, Rousseau comme philosophe. Bien qu'il ait composé un opéra, il est regrettable que la musique de Leclair soit aujourd'hui aussi confidentielle, connue seulement d'un petit cercle de mélomanes.

En 2014, pour le 250e anniversaire de leur mort, alors que Rameau était célébré un peu partout, Sébastien d'Hérin trouvait injuste que Leclair soit absent des commémorations. Il a donc élaboré un spectacle Mais qui a assassiné Jean-Marie Leclair ? rendant hommage au compositeur lyonnais mais aussi à la musique française de cette époque.

Mais Lyon n'a jamais réellement oublié Leclair. Au début du XXe, des pages de Scylla et Glaucus sont régulièrement jouées en concert et en 1988, John Eliot Gardiner, directeur musical de l'Opéra de Lyon, enregistre l'ouvrage pour la première fois. Aujourd'hui, c'est Sébastien d'Hérin qui nous propose une nouvelle version de cet opéra enregistré sur instruments anciens.
Une manière de réhabiliter ce compositeur trop méconnu, dont l'œuvre a influencé l'évolution de la musique, mais également la technique instrumentale du violon, donnant un élan décisif à l'école Française de violon. Pour se faire une idée de sa notoriété, citons Hawkins qui en 1776 dans son Histoire générale de la musique parle de la musique de Leclair en ces termes : « pour la grandeur et la dignité du style, il n'y a pas de compositions instrumentales françaises, pas même celles de Lully en personne, qui méritent d'être comparées avec les siennes. »

Scylla et Glaucus, de Leclair, dir. Sébastien d'Hérin, Les Nouveaux Caractères (Outhere Music 2016)

Musicus Politicus : Qui a tué Jean-Marie Leclair ?
Sur France Musique le dimanche 15 mai à 9h, dans l'émission ​de Christophe Bourseiller

Repères

1697 : naissance à Lyon

1722 : premier danseur et maître de ballet à l'Opéra de Turin

1734 : entre au service de Louis XV

1746 : première de Scylla et Glaucus

1764 : meurt assassiné à Paris

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