Christophe Barratier remise patine et chansonnette pour prendre le parti de Jérôme Kerviel face à la Loi des marchés. Il réalise une jolie plus-value au passage : grâce à ce film maîtrisé, la séance se clôt par une forte hausse de la valeur de son cinéma.
Qu'il semble loin, le temps des Choristes, de Faubourg 36 ou de La Nouvelle Guerre des boutons ; cette époque laissant croire que Christophe Barratier préférait idéaliser un passé de carton-pâte, baigné d'insouciance nostalgique, comme s'il fuyait toute représentation du présent. Pour son premier film réellement contemporain, le cinéaste se paie le luxe de traiter frontalement un sujet en or que beaucoup de ses confrères français auraient sans doute évacué comme le mistigri : “l'affaire Kerviel”.
Frontalement, c'est-à-dire sans recourir à ce faux-nez habituel qu'est “l'évocation de faits réels” — une touchante pudeur visant à se prémunir d'éventuelles poursuites. Ici, tout étant avéré, Barratier cite nommément et sans barguigner les protagonistes et les raisons sociales impliquées dans la crise de la Société Générale en 2008 — on se croirait dans un film américain !
Défi d'initier
L'Outsider raconte la bourse, la mécanique mathématiquement astucieuse mais moralement obscène du trading sans virer au clip de prestige, ni tomber dans le didactique-pantoufles. Un monde empli de leurres, de rideaux de fumée, non exempt de brutalité, dont Barratier va d'ailleurs s'inspirer pour une ouverture musclée. Assumant le point de vue de Kerviel, le cinéaste suit ensuite son parcours de novice doué dans la frénésie des plateaux de donneurs d'ordres (de son bizutage à son avènement, de son triomphe à sa chute) ; montre aussi l'intensité d'un quotidien absurde, où les requins débutants apprennent à abolir tout rapport à la mesure, à gommer tout référentiel.
Accumuler des gains sur les marchés n'est possible pour le trader que s'il fait abstraction de la réalité des sommes engagées : la très hypocrite institution bancaire fait appel à son talent de calculateur et à son goût du risque — autrement dit au joueur/drogué qui sommeille en lui — jouant à la vierge effarouchée lorsqu'elle “découvre” comment son brave soldat a rempli (dépassé) ses objectifs.
Plus qu'un “western financier”, c'est à une édifiante épopée tragique à la mode classique qu'on assiste. Arthur Dupont, chevalier blanc gagné par l'opacité et l'ivresse pâle du no limit se révèle un excellent choix, escorté par une distribution parfaite car très homogène. C'était ce qu'il fallait pour comprendre, enfin.
L'Outsider de Christophe Barratier (Fr., 1h57) avec Arthur Dupont, François-Xavier Demaison, Sabrina Ouazani