Modestement, ils se présentent comme un « petit collectif de vignerons bios. » Mais anonyme, le collectif ! Opacité revendiquée : comme une rupture avec la figure de l'auteur (de vin). Une manière de rappeler le caractère social de tout processus de production : le vin n'est ni un jus généreusement offert par la nature, ni le produit d'un Homme qui arrache (violemment et héroïquement) ce nectar à la Terre (mère). Pour avoir servi de petites mains pendant quelques années dans les vignes du Languedoc, ces Anonymes (si l'on comprend bien : de jeunes hommes et femmes venus de l'étranger) le savent bien. Aussi, quand ils ont pu acquérir quelques parcelles du côté de Banyuls, ils ont opté pour l'égalité salariale, le refus d'une hiérarchie interne et donc, l'anonymat.
Ils ne cachent pas leurs engagements (« féministes, anti-racistes, et bien sûr, anti-fascistes »), quoique leur principale affirmation politique se situe certainement dans leur manière de travailler (dans un milieu qu'ils voudraient « exempt de sexisme, de racisme, d'homophobie ») et de vivre ensemble. Le collectif vise le « zéro-déchet » et l'autonomie alimentaire. « En période de crise », rompre avec la monoculture souvent à l'œuvre dans les paysages des vignobles « doit devenir un objectif. »
Leur démarche a pu agacer. Le maire de Banyuls a, un temps, voulu combattre leur petit village de caravanes au milieu des vignes. Un blogueur connu (dans le monde du vin) a dénoncé une démarche « marketing » (plus que politique), prenant pour preuves leurs belles étiquettes (qui rappellent « l'ambiance Kreuzberg »), leurs produits dérivés (sacs, t-shirts, hoodies noirs) et les tarifs de leurs vins (« moins prolétariens que le discours »). « Indépendamment de notre politique, nous faisons du vin dans un certain endroit et cela coûte une certaine somme d'argent. Même les enfants comprennent cela ! » répondent-ils.
Et la vigne, justement ? Les Anonymes en permacultivent dix hectares, sur des terrasses schisteuses, surplombant la mer. Ils piochent des techniques agricoles du côté de la biodynamie. Mais, allergiques aux « aspects métaphysiques et ésotériques » de la chose, comme d'ailleurs à tout dogme, ils revendiquent surtout une approche bricoleuse, Do It Yourself. Ils sont fiers, par exemple, de présenter l'étrange machine que leur ont fabriqué des amis punks venus d'Autriche : un vélo-égrappoir. « C'est plus facile que de tourner à la main et on peut boire en même temps ! »
Leur vin, finalement, n'est réalisé qu'à partir de jus de raisins (labellisés bio) — quoiqu'ils utilisent un peu de soufre. Cela donne une petite dizaine de cuvées, majoritairement des AOC Collioure, malheureusement pas encore distribuées sur Lyon... Rendez-vous ce week-end pour les déguster, au salon Rue89Lyon des vins.