Théâtre de la Croix-Rousse / Pour sa deuxième création de la saison, Jean Lacornerie change radicalement de genre et confie à Elizabeth Macocco le soin délicat d'incarner une vieille femme vigoureuse. Réjouissante petite forme.
On l'avait laissé en novembre avec un Opéra de quat'sous pimpant et peuplé de marionnettes, revoici Jean Lacornerie dans un autre endroit du théâtre qu'il dirige depuis 2010, le studio, très peu usité ces dernières années. Entre deux murs, il y fait déambuler Faila, 93 ans, en proie à un agresseur qu'elle est parvenue à berner en l'enfermant dans une pièce de son appartement. Il va geindre, baragouiner sans que jamais ne nous parviennent directement ses mots.
Écrit par l'auteur argentin contemporain Federico Jeanmaire, ce texte qui n'avait rien de théâtral se révèle être une formidable matière à jeu, tant ce soliloque vire au polar. Qui est derrière cette porte en train de s'acharner sur la poignée ? Quel âge a-t-il ? Quels sont ses liens avec la victime ? Peu à peu, se dévoile une histoire qui reflète tout autant la réalité de la lutte des classes sociales (il est pauvre, elle est bourgeoise) que la psychologie d'une femme rapidement devenue orpheline après que sa mère, entichée d'un pilote bad boy, ait tenté, au début du XXe siècle, de devenir aviatrice. Un rêve de liberté fracassé sur une piste d'atterrissage...
La porte du pénitencier
Elizabeth Macocco est cette fille à la lisière de la folie dont on ne sait trop si elle affabule ou si elle a encore toute sa tête. La comédienne lui prête une énergie teintée de colère démultipliée par une solitude qu'elle combat avec véhémence. Dans un espace très exigu agrémenté d'un bel intérieur, visible par la fenêtre du décor, Lacornerie a laissé la portion congrue à une Macocco qui semble pourtant bien plus à l'aise ici que l'an dernier dans le dédale organisé de Bettencourt Boulevard.
Bien qu'elle semble souvent plus dynamique que son déambulateur le laisse supposer, elle parvient à incarner l'amertume de cette Faila qui enchaîne les remarques abruptes avant de devenir mielleuse avec son jeune prisonnier, sa « rencontre miraculeuse » à qui elle balance des petits beurres sous la porte avant que ce ne soit les photos de famille.
Car c'est bien de cela dont il est question : se réapproprier, à l'aube de sa mort, son histoire et en accepter toutes les fêlures pour tenter de partir apaisée. Pour cela, la vieille dame hèle même le public dans une tentative d'interaction qui ne tombe jamais à plat tant ces adresses participent de la construction d'un personnage dramatiquement plus esseulé que sa logorrhée agitée ne peut en rendre compte.
Plus léger que l'air
Au Théâtre de la Croix-Rousse jusqu'au 18 février