Opéra / Parfois, très rarement, dans cet art si éphémère qu'est le théâtre et a fortiori l'opéra, ressurgissent de grands metteurs en scène. Neuf ans après sa mort, Klaus Michael Grüber revit avec la reprise de son Couronnement de Poppée. Esquisse de ce que fut ce maître des scènes européennes.
Il y a d'abord une aura, celle que convoque son nom. Klaus Michael Grüber dont les cendres ont été réparties sur Belle-Île-en-Mer un jour de juin 2008, juste après sa mort des suites d'un cancer, est un pan du théâtre. Celui d'une exigence et d'une intemporalité qui permet notamment aujourd'hui à son assistante Ellen Hammer, aux commandes de la reprise du Couronnement de Poppée de ne pas craindre une « entreprise muséale ». Sans jamais adapter ou contemporanéiser les textes qu'il a pu monter, il a su leur donner une nouvelle lecture comme cette Bérénice qui a entendu bien des fauteuils claquer avant de devenir un classique à son tour.
En 1984, invité à la Comédie Française, il avait donné à l'héroïne racinienne une allure presque métallique en confiant cette indication à la protagoniste principale Ludmila Mikaël : « la parole froide, le cœur brûlant ». Né en 1941 au bord du Neckar (Bade Würtemberg) dans une Allemagne aux mains des nazis, Grüber, apprenti-acteur au Conservatoire de Stuttgart, est rapidement parti en Italie où il devient l'assistant de Giogio Strehler, alors directeur du lieu-phare du théâtre continental : le Piccolo Teatro de Milan. Il travaillera notamment sur L'Enlèvement au sérail de Mozart, ce qui lui sera précieux lorsqu'en fin de carrière il ne consacrera quasiment plus qu'exclusivement à l'art lyrique.
L'enfance nue
Ses phrases sibyllines prononcées lors de répétitions très cadrées (costumes définitifs sur le dos des comédiens placés dans le décor déjà en place, pas de prolongation de discussions au-delà des créneaux horaire prédéfinis) ont fait sa légende mais surtout sa force. Évitant toute psychologisation, il a pu confier à Otto Sander, son comédien dans Les Légendes de la forêt viennoise d'Horvath, Les Bacchantes d'Euripide ou Amphitryon de Kleist, soucieux de savoir comment faire abstraction du public : « imagine que tu es en Sardaigne face aux champs de blés avec un soleil rougeoyant se couchant ».
Et si les mots sont pour lui des armes, le corps ne l'est pas moins, faisant parfois marcher pendant des heures sa troupe en répétition, une forme de mise à nue extrême, celle de l'enfance. En Allemagne, il s'installe en 1972 à la Schaubühne dont il fait avec son complice Peter Stein un lieu de modernité totale (dont a "hérité" bien plus tard Thomas Ostermeier).
Habitué du Festival d'automne parisien, il emmène aussi le théâtre hors de ses murs comme dans l'OlympiaStadion de Berlin, en 1977. Dans cette arène construite en 36 pour la propagande hitlérienne des Jeux olympiques, avec Voyage d'hiver (d'après Hypérion), il fait résonner les mots d'Höldelin, récupéré en son temps par les nationalistes-socialistes et le rend ainsi à ses compatriotes. La re-création de cet opéra datant de 1999, né à Aix, est une occasion unique de renouer avec l'esthétique et l'univers de ce metteur en scène majeur.
Le Couronnement de Poppée
Au TNP dans le cadre du festival Mémoires du 16 au 19 mars