Peinture / Elle ne peint pas avec le dos de la cuillère, Laure Mary-Couégnias : la jeune lyonnaise nous plaque à la rétine ses fruits et ses animaux avec autant de simplicité que de duplicité. C'est beau, fourbe et voluptueux.
Le conte de Gustave Flaubert, Un cœur simple, se termine sur ces mots :
« Une vapeur d'azur monta dans la chambre de Félicité. Elle avança les narines, en la humant avec une sensualité mystique ; puis ferma les paupières. Ses lèvres souriaient. Les mouvements de son cœur se ralentirent un à un, plus vagues chaque fois, plus doux, comme une fontaine s'épuise, comme un écho disparaît ; et, quand elle exhala son dernier souffle, elle crut voir, dans les cieux entrouverts, un perroquet gigantesque, planant au-dessus de sa tête. »
Ce perroquet gigantesque existe dans les faubourgs de Lyon et trône, crête punk et plumage gonflé d'orgueil, dans l'atelier de Laure Mary-Couégnias. Il se nomme Mona Lisa et tient, en un sens, son rôle : il répète, il reprend... quoi ? L'œil, le regard, la fascination, l'émoi de la rencontre visuelle. Soit ce "cœur simple" et essentiel de l'histoire de la peinture qui, du Caravage à nos jours, relève, avant tout, de l'émotion sensible. Il est répétition et il est, aussi, différence : le fond uni, la simplicité des formes, la réduction de la figure à l'essentiel, sa frontalité, résonnent avec une peinture plus actuelle.
Laure Mary-Couégnias note que ses images directes et immédiatement frappantes recèlent des analogies avec l'imagerie contemporaine : celle de la publicité, de la vitesse, du message visuel, d'Instagram...
« Avec un bon emballage, tout passe »
confie, mi-amusée mi-sérieuse, l'artiste. Cet emballage qu'un Serge Daney conspuait comme enveloppant autant « d'images à vendre », et dont la peintre use de manière sournoise et ironique pour y distiller provocation, pulsions érotiques et perversions diverses.
Séduction
Mais ce jeu du chat et de la souris avec le contemporain et ses flux médiatiques nous intéresse un peu moins chez Laure Mary-Couégnias que son utilisation étrange, et beaucoup plus générale, de l'idée de séduction. Séduire c'est, nous indique l'étymologie, "détourner du droit chemin", faire bifurquer, faire loucher le regardeur...
Et, en effet, ses peintures d'animaux ou de fruits (les deux grands motifs de l'artiste) ont quelque chose d'un peu louche derrière leur belle simplicité sensuelle. Elles relèvent, d'une part, de l'hybride : des poissons au corps d'ananas, des bouches aux langues-tentacules, des autruches-girafes...
L'artiste se permet toutes les fantaisies et se joue des genres, des organismes et du monstrueux, avec un plaisir contagieux. Ses peintures refusent la perspective mais se gonflent de tout leur volume. En elles, il y a de la pulpe, du trop, de "l'hénaurme" comme dirait encore Flaubert, qui piétinent les normes et le normal dans un grand éclat de rire et de couleurs vives.
Ce qui est aussi un peu "louche" dans les œuvres de Laure Mary-Couégnias, ce sont leurs références et leurs titres troubles : Mona Lisa et son regard-piège, ou plus étrange encore, Liriope représentée par une tentacule de pieuvre aux ventouses remplacées par des yeux. Liriope qui serait, selon Ovide, la mère de Narcisse, violée par le Dieu-fleuve Céphise...
Intuition
Laure Mary-Couégnias nous tend, avec enjouement, des "pièges à regard". Et suggère de possibles secondes lectures de ses tableaux où se profilent discrètement des figures mythiques de la peinture, des généalogies violentes, des pulsions de vie et de mort... Soit tout un inconscient dont elle admire du reste la fraîcheur et le premier degré dans l'art naïf (Le Douanier Rousseau au premier chef) ou dans l'art brut, celui notamment de Séraphine de Senlis (1864-1942) qui, avant de sombrer dans la folie, peignait elle aussi des fruits et des fleurs gorgés de lumières et de couleurs.
Comme chez Séraphine de Senlis, il y a chez Laure Mary-Couégnias un irrépressible désir de création et une confiance aveugle, quasi naïve, dans les pouvoirs de la peinture.
« Je ne travaille jamais à partir de photographies ou de dessins, nous dit l'artiste. À l'atelier, devant la toile, je pars de flashs, de visions, de pulsions. Et je laisse place à l'accident et à l'étrange que je ne contrôle pas. »
Tout affleurerait ainsi à la surface (références, détours du sens, métamorphoses des figures...) comme directement de la main à la toile, sans trop passer par la conscience et la réflexion. Un coup de griffe pictural !
Laure Mary-Couégnias
Rendez-vous
À l'Institut d'Art Contemporain à Villeurbanne du 20 septembre au 7 janvier 2018
J'irai fleurir sous tes reins
Au Parc Auto Grolée jusqu'en 2019