Politique / Le gouvernement a annoncé le gel des contrats aidés, jugés « coûteux et peu efficaces. » Dans le milieu de la culture, cette mesure prise en période estivale sans aucune discussion avec les acteurs concernés passe mal. Le point.
« Mon contrat devait être renouvelé le 14 septembre. Le 22 août, j'ai reçu un email de Pôle Emploi m'indiquant que celui-ci était gelé : une décision rapide, sans préavis, sans alternative. C'est frustrant et injuste. Je vais être inscrite au chômage : qu'on m'explique où se trouve l'économie que souhaite réaliser le gouvernement ! »
s'indigne Nicole Corbi, désormais ex-chargée de médiation culturelle chez Spacejunk. Son directeur, Jérôme Catz, est tout aussi désemparé :
« Cela fait 14 ans que notre association existe. La majorité des CAE que l'on a eus ont été transformés en CDI. Les deux ans du CAE, c'est le temps qu'il faut à une structure comme la nôtre pour arriver à pérenniser un poste. Je suis remonté. L'avenir de l'association est incertain. »
La culture est durement impactée : la plupart des associations et compagnies émergentes fonctionnent avec des contrats aidés. Même son de cloche à l'Espace 44.
« Les contrats de nos cinq employés se finissent d'ici la fin de l'année. Le 1er janvier, on se retrouvera seuls, avec 35 spectacles à assurer. On supprime ou réduit les subventions, on gèle les contrats aidés : la mort assurée. Notre rôle est d'ouvrir notre théâtre à des compagnies émergentes. On ne pourra plus le faire »
proteste le directeur, André Sanfratello. Aux Clochards Célestes, le théâtre vient de se voir refuser une première embauche en CAE d'une personne pour l'accueil et la billetterie.
« C'est soudain, nous avons fait passer les entretiens en mai, tout était calé. Nous avons néanmoins décidé d'engager la personne recrutée, sur nos fonds propres, nous n'avons pas le choix. La décision du gouvernement est brutale, rapide, et menace par ricochet les autres postes »
s'insurge Lancelot Rétif, l'administrateur.
Au Kraspek Myzik, l'administratrice ne sera pas reconduite et le régisseur prévu ne sera pas embauché. « On ne lâche rien, on n'annule aucune date, on va se débrouiller » résiste Franck Guscioni. Chez Arts en Scène, les deux CAE prévus ont été annulés.
« Nous avons gardé un emploi sur les deux, en CDD de trois mois et nous nous sommes répartis le reste du travail. Nous sommes en sous-effectif. C'est difficile pour ceux qui se voient refuser un CAE, mais aussi pour ceux qui restent dans la structure, cette décision engendre une dégradation des conditions et de la qualité de travail »
explique le directeur Éric Zobel. D'autres structures ont eu plus de flair, comme Mediatone.
« On a senti le truc venir. Apprenant que les crédits étaient en chute libre, on a décidé de faire les renouvellements de nos trois contrats d'avenir en juin. On s'y serait pris aujourd'hui, on n'aurait pas pu ! »
assure le coordinateur Jérome Laupies.
Combattre ensemble
Un collectif apolitique s'est créé : le Mouvement de Lutte contre le Gel des Emplois Aidés, qui a lancé une pétition, organise des tables rondes (le 15 septembre à l'Aquarium), cherche des réponses... En vain.
« Nous sommes seuls, laissés dans la nature, nous n'avons aucun interlocuteur. Pôle Emploi n'a aucune visibilité. Nous avons contacté la Ville, mais nous avons l'impression que l'intérêt des Lyonnais passe après celui des politiques »
lance un membre du collectif souhaitant rester anonyme. Du côté de la Ville, on assure que des rendez-vous ont été pris.
Romain Blachier, adjoint à la Culture et au Numérique à Lyon 7e et membre de la commission culture d'Emmanuel Macron, a alerté la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, et son directeur de cabinet Marc Schwartz :
« Je pense qu'il s'agit avant tout d'une méconnaissance du dossier. Il n'y a que dix conseillers par ministre, ils n'ont pas une vision à 360 degrés. La fin du contrat aidé dans l'industrie ou l'entreprise n'est pas forcément une bêtise. Dans la culture, c'est différent, je ne suis pas pour leur suppression brutale, les plus petites structures vont pâtir de cette décision. Mais malheureusement, ils sont souvent détournés. Il ne faut pas que le CAE soit un moyen de subvention déguisé : est-ce normal que, pendant vingt ans, une compagnie n'embauche que des CAE sans jamais les intégrer en CDI au bout de deux ans ? Ne devrait-on pas créer un contrat moins hypocrite, changer la forme ? »
À ce jour, le flou reste total : tant sur les chiffres – les contrats aidés, tout secteur confondus, devraient passer de 459 000 à 310 000 cette année, une baisse qui devrait se prolonger en 2018 –, que sur les secteurs préservés – le handicap, l'urgence sanitaire et sociale pour le moment. Le milieu de la culture, déjà très précaire, va probablement voir le nombre d'intermittents et de services civiques augmenter considérablement, précarisant encore un peu plus le secteur.
« On nous a décapité, des centaines de structures vont disparaître, au moins autant de personnes vont se retrouver au chômage, et on ne nous donne aucune solution »
conclut André Sanfratello.
Contrats aidés : kesako ?
Ils existent depuis plus de trente ans et se sont succédés au fil des années sous différents noms (TUC, CES, CEV...) avec toujours un même but : lutter contre le chômage en facilitant l'insertion des personnes rencontrant des difficultés d'accès à l'emploi, dans les secteurs marchands et non marchands. Aujourd'hui, ils se dénomment CUI (Contrat Unique d'Insertion, dont les CAE, propres au secteur non marchand), emplois d'avenir, ou contrats d'insertion par l'activité économique. Ce type de contrat permet à l'employeur de bénéficier « d'aides, sous forme de subventions à l'embauche, d'exonérations de certaines cotisations sociales ou d'aides à la formation » précise la Dares (Département des statistiques du ministère du travail).