Le Film de la Semaine / Emily Atef et Marie Bäumer ressuscitent Romy Schneider au cours d'un bref épisode de sa vie. Mais davantage qu'un “biopic à performance“, ce film tient de l'essai cinématographique, du huis clos théâtral et du portrait de femme, d'actrice, de mère.
1981. En plein doute sentimental et professionnel, Romy Schneider est partie en cure de repos à Quiberon. Bien qu'en froid depuis des lustres avec la presse allemande, elle accepte au nom de son amitié avec le photographe Lebeck une interview pour le Stern. L'occasion de faire le point...
Cénotaphe froidement révérencieux, hagiographie méthodique, recueil d'images dorées autorisées... Le biopic est sans nul doute le genre cinématographique le plus prévisible et le moins passionnant. Si l'on y songe, il procède d'ailleurs trop souvent d'un dialogue d'initiés entre un fétichiste — le cinéaste — et une foule de fans autour de l'objet de leur fascination commune ; fascination quasi-morbide puisque l'idole en question a la plupart du temps trépassé. Alors que le cinéma est un art (collectif) de la fabrication, de la reconstitution, rares sont les films osant s'affranchir du cadre illusoire de l'histoire officielle pour construire une évocation : ils préfèrent s'engager dans l'impossible réplique du modèle... S'employer à le cerner plutôt que de le contrefaçonner permet de se débarrasser du leurre du mimétisme, et donner libre cours à son originalité d'auteur — ou d'interprète.
Trois jours à abattre
En touchant à l'icône Romy Schneider, Emily Atef s'engageait sur une périlleuse sente. Le risque était grand de statufier la star franco-allemande dans la position de dépressive monochrome harcelée par les médias ; tout comme la facilité de se reposer sur l'étonnante similitude physique de Marie Bäumer avec sa devancière — à l'instar d'Isabelle Renauld jadis. En isolant Schneider dans un espace/temps clairement circonscrit, la cinéaste la transforme : elle devient presque un des personnages qu'elle aurait pu jouer devant la caméra de Sautet ou Zulawski. Et ce détour qu'elle se force (et nous oblige) à accomplir permet de mieux conserver présente à l'esprit la dualité Bäumer/Schneider. Certes, le noir et blanc unificateur contribue à aplatir l'ambiance chromatique, les décors et les costumes cintrés ; à nous immerger en 1981 dans ce Sofitel breton et ses alentours, au milieu des bouffées de cigarettes comme du brouillard des soirées cafardeuses de semi-cuite. Mais ce noir et blanc est aussi indubitablement la marque d'une volonté d'Emily Atef, Romy Schneider n'ayant que très exceptionnellement fait des infidélités à la couleur.
Et si le but de Trois jours à Quiberon était, davantage que d'épater l'œil, de confondre l'oreille ? Centré sur l'obtention d'un entretien exclusif, sur le balancement entre le in et le off de la confidence, sur le poids de l'aveu et la manière de l'obtenir — de l'extorquer —, sur les promesses faites, tenues, rompues ou arrachées, ce film repose sur la parole. Donc sur la voix. Devenant ici une sosie vocale de Schneider, la grande Marie Bäumer l'évoque de manière infiniment plus troublante que si elle se contentait de figurer son double physique. Appuyant inconsciemment cette impression d'être enveloppé par l'univers sonore de Romy, la bande originale signée Christoph Kaiser et Julian Maas livre une saisissante partition dans l'esprit des mélodies mélancoliques de Philippe Sarde.
Savoir ce qui se déroule dans la vie de l'actrice après cette parenthèse quiberonnaise est facultatif ; toutefois, la connaissance de certains faits transforme radicalement l'issue du film : le spectre ironique de la fatalité balaie sa lumineuse espérance.
3 jours à Quiberon de Emily Atef (All-Aut-Fr, 1h56) avec Marie Bäumer, Birgit Minichmayr, Robert Gwisdek...