Documentaire / L'année précédant la présidentielle de 2017, une documentariste s'est incrustée à Mediapart, livrant le quotidien du média en ligne indépendant. La fan a hélas pris le pas sur la cinéaste dans ce film hésitant entre myopie, naïveté et page de pub. Un super sujet, mais de travers.
Contempler de trop près de l'objet aimé n'est jamais bon : le regard louche facilement et l'on perd cette bienvenue vision périphérique qu'offre un tantinet de recul. Naruna Kaplan de Macedo avoue d'entrée son affection quasi-idolâtre pour Mediapart : c'est “son“ journal, celui dans lequel elle se retrouve en tant que lectrice, comme sans doute beaucoup d'orphelins d'un certain débat d'idées et/ou d'une certaine gauche en déshérence. Cet attachement affirmé en voix off renforce la subjectivité du propos, mais relativise fatalement la valeur du témoignage à une opinion, la sienne, partagée par les inconditionnels du pure player. Des contributeurs plus enclins à applaudir qu'à voir ses limites... ou ses marges de progression.
Car ce film globalement laudatif ne montre pas ce que la création du média a provoqué comme chamboulements dans la presse ni les mœurs socio-politique comme son titre le laisse faussement penser : moins référent temporal que spatial, son “depuis“ indique surtout que le tournage a été réalisé quasi-intégralement à l'intérieur des locaux de Mediapart, comme jadis la télévision de grand-papa était mise en boîte à Cognacq-Jay.
Edwy en pleure
De fait, il montre — mais est-ce la réalité ? — une rédaction “en bocal“ sortant d'authentiques scoops grâce à du traitement de données mais effectuant peu de travail de terrain ; des reporters vissés à leur bureau lors des soirées électorales au lieu d'arpenter les QG de campagne mais qui se morigènent de ne pas avoir su anticiper ni les résultats du Brexit, ni l'élection de Trump, et s'étonnent d'être déphasés par rapport aux “vraies gens“. Ou un journaliste râlant contre le résultat des urnes... après s'être vanté de ne pas être inscrit sur les listes électorales.
L'empathie, voire la connivence, de Naruna Kaplan de Macedo se révèle à double tranchant. S'abstenant de titrer ses intervenants, elle semble ne s'adresser qu'à des familiers du média — à moins qu'il s'agisse d'un parti-pris délibéré (mais étrange) visant à ne pas dissocier des individus de la Kollektivité formée par l'entité-rédaction. Seule sortie du cadre : quand Plenel pleure sa déception à l'élection de Macron, marquant l'atomisation des gauches et l'échec de la recomposition du paysage politique. On aurait cru le CDS Jacques Barrot assistant à la disparition du PC en 2002.
Depuis Mediapart, de Naruna Kaplan de Macedo (Fr, 1h40)